Il y a dix ans, jour pour jour, le gouvernement fédéral offrait ses excuses à Maher Arar, un Canadien qui a été détenu et torturé en Syrie au début des années 2000 dans la foulée des attentats du 11 septembre sans qu'aucune accusation soit déposée contre lui. Mais selon Amnistie internationale, Ottawa n'a pas tiré de leçons de cet événement et il serait possible qu'un tel cas se reproduise de nos jours.

Il y a dix ans, jour pour jour, le gouvernement fédéral offrait ses excuses à Maher Arar, un Canadien qui a été détenu et torturé en Syrie au début des années 2000 dans la foulée des attentats du 11 septembre sans qu'aucune accusation soit déposée contre lui. Mais selon Amnistie internationale, Ottawa n'a pas tiré de leçons de cet événement et il serait possible qu'un tel cas se reproduise de nos jours.

En 2002, Maher Arar est en vacances avec sa famille en Tunisie. Il doit revenir plus tôt pour des raisons professionnelles et lorsqu'il arrive à New York pour une escale, il est retenu par les autorités américaines, qui le soupçonnent d'avoir des liens avec l'organisation terroriste al-Qaïda.

Douze jours plus tard, il est transporté en catimini en Syrie, où il vivra un véritable «cauchemar», selon le rapport du juge Dennis O'Connor, qui a été appelé à enquêter sur le dossier. M. Arar sera incarcéré pendant près d'un an dans son pays d'origine et il y sera torturé pendant plusieurs jours, même si «rien n'indique que M. Arar ait commis une infraction ou que ses activités aient représenté une menace à l'égard de la sécurité du Canada», a alors noté le juge O'Connor.

Après le dépôt du rapport du juge ontarien, le premier ministre de l'époque, Stephen Harper, a présenté officiellement ses excuses au nom du gouvernement canadien, qui a aussi versé une compensation de 10,5 millions $, plus 1 million $ pour éponger ses frais juridiques.

C'est que le Canada a eu son rôle à jouer, selon le juge O'Connor, soulignant les informations «inexactes» qu'a transmises la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à ses vis-à-vis américains, ainsi que des lacunes sur le plan de la communication entre les organismes canadiens.

Selon Alex Neve, secrétaire général de l'organisme Amnistie internationale, le gouvernement canadien n'a toujours pas mis en place, dix ans plus tard, les recommandations clés du juge «qui étaient au coeur du problème de M. Arar».

«Non, nous ne sommes pas confiants que toutes les mesures ont été prises pour éviter une répétition (d'un cas similaire)», a affirmé Me Neve en entrevue avec La Presse canadienne.

Dennis O'Connor avait clairement établi que le Canada ne devrait pas partager des informations à un pays «où il y a un risque crédible qu'elles entraînent un recours à la torture ou qu'elles y contribuent».

Pourtant, le Canada a plutôt «formalisé par écrit cette pratique», selon M. Neve. Une directive ministérielle rédigée en 2010 permet aux responsables de demander et de partager de l'information avec des partenaires étrangers - même lorsque cela risque de placer quelqu'un en danger de traitement brutal - s'il y a une préoccupation en matière de sécurité nationale.

«Mais le juge O'Connor a été très clair. Ce n'était pas une recommandation qui a des exceptions», a fait remarquer M. Neve.

Le juge avait aussi suggéré l'implantation d'un mécanisme d'examen indépendant des activités de la GRC relatives à la sécurité nationale, ce qui n'a pas été fait. «Le gouvernement actuel propose de mettre en place un comité parlementaire pour la sécurité nationale, mais Dennis O'Connor voulait que ce soit des experts indépendants», a souligné M. Neve.

D'ailleurs, trois autres Canadiens ont vu leurs droits violés pendant la même période; Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin. Le juge Frank Iacobucci a constaté au terme d'une enquête, en 2008, qu'il y avait eu des problèmes de communication entre les agences qui ont mené parfois à des sévices. Ces trois individus n'ont reçu aucune excuse ou compensation.

«Pour moi, c'est un signe que cet enjeu n'est pas pris au sérieux et que nous n'avons pas vu une réelle volonté d'améliorer les choses dans ce domaine. Si c'était le cas, ces hommes ne seraient pas pris dans une poursuite pour essayer d'avoir des excuses et une compensation», a affirmé M. Neve.

Le fédéral veut mieux surveiller les agences

Dans une déclaration transmise par courriel, le bureau du ministre de la Sécurité publique du Canada, Ralph Goodale, a assuré que le gouvernement avait mis en place les recommandations du juge O'Connor.

Il a rappelé que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) n'était jamais autorisé à partager des informations qui pourraient mener à un mauvais traitement sauf «s'il y a un risque sérieux de perte de vie, de blessures, de dommages substantiels ou de destruction de biens».

Selon le gouvernement, le comité de parlementaires qu'il propose permettra de mieux surveiller les agences de sécurité. «Cela permettra aux membres du Parlement et aux sénateurs de tous les partis d'avoir un accès spécial à des informations classifiées pour examiner les enjeux de sécurité nationale dans tous les ministères et agence, contrairement aux comités de surveillance déjà en place», est-il écrit dans le courriel.

Quant aux trois Canadiens qui sont toujours en attente de recevoir des excuses, le bureau du ministre Goodale a dit qu'il serait «prématuré de commenter sur ces dossiers», qui sont en processus de médiation.

Joint par La Presse canadienne, Maher Arar n'a pas souhaité accorder d'entrevue.

Maher Arar en bref

• Né en Syrie en 1970; il a déménagé au Canada en 1987

• Marié et père de deux enfants

• Études au cégep Ahuntsic et à l'Université McGill en génie informatique

• Depuis 1997, il vit à Ottawa avec sa famille.

• Président et chef de la direction de l'entreprise CauseSquare, une application mobile qui aide les jeunes à entrer en contact avec un organisme caritatif