Les langues se sont déliées à Ottawa. En 2016, le nombre d'interventions au micro a bondi de 100 % par rapport à l'année précédente et de 54 % comparativement à 2014, selon des statistiques compilées par la Tribune de la presse parlementaire canadienne.

Ces données regroupent tant les prises de parole de parlementaires (députés et sénateurs) dans les couloirs du parlement ou à l'Amphithéâtre national de la presse que celles de représentants de la société civile dans la salle de conférence de l'édifice du Centre ou encore à la Cour suprême.

Il y a eu des fluctuations entre 2014 et 2016, vraisemblablement parce que 2015 était une année d'élection. Le nombre total d'interventions, qui était de 1519 en 2014, a ainsi chuté à 1174 l'année suivante, puis grimpé à 2340 en 2016, selon ces données consultées par La Presse canadienne.

Mais dans toutes les colonnes recensant les disponibilités médiatiques des élus se confirment le phénomène que journalistes et observateurs de la scène fédérale avaient constaté depuis l'arrivée au pouvoir des libéraux: les députés sont plus loquaces qu'à l'époque de Stephen Harper.

Les élus sont certes plus nombreux à défiler devant les micros, le nombre de sièges étant passé de 308 à 338 en octobre 2015. Mais le ton a clairement changé, note Manon Cornellier, éditorialiste au quotidien Le Devoir et présidente de la Tribune de la presse parlementaire canadienne.

«Quand je suis revenue au parlement après l'élection, qu'il y avait l'entrée des premiers caucus et la multiplication de "scrums", j'ai constaté que plusieurs vétérans de la colline et moi on se regardait et on souriait en se disant: "Tiens, le retour du bon vieux temps!". C'était comme ça», relate-t-elle.

«L'épisode Harper était une parenthèse dans les rapports normaux, professionnels, entre la Tribune et les partis politiques, et donc, on est de retour, peut-être, à une pratique plus normale», tient à préciser Mme Cornellier, qui couvre la politique sur la colline à Ottawa depuis plus de 30 ans.

La croissance la plus marquée - et sans doute la plus remarquée sur la colline - concerne la fréquence des échanges entre la presse et les ministres du gouvernement de Justin Trudeau en marge des réunions hebdomadaires du cabinet.

Il faut dire que la barre n'était pas haute: sous l'ex-premier ministre Stephen Harper, les détails des rencontres n'étaient pas divulgués, et pour cette raison, en vertu d'un règlement de la Chambre, les journalistes ne pouvaient faire le pied de grue à l'étage où les ministres se réunissaient.

Bref, en 2014, on a recensé un grand total de zéro discussion «on the record» en marge des réunions du cabinet. En 2015, en l'espace d'à peine deux mois - le conseil des ministres a été assermenté le 4 novembre -, il y en a eu 41. Ce nombre s'est établi à 127 pour l'année 2016.

Et cela n'inclut pas les impromptus de presse auxquels participent les ministres libéraux avant et après la période de questions, ni les annonces qu'ils font dans le foyer des Communes, ni les entrevues individuelles qu'ils accordent aux médias à Ottawa ou ailleurs au pays.

«Depuis que le gouvernement Trudeau est en place, il y a vraiment une diversité d'acteurs qui prennent la parole; les ministres, notamment, sont envoyés au front», observe Thierry Giasson, professeur au département de science politique de l'Université Laval.

Le contraste est saisissant par rapport à ce qui prévalait à l'époque du gouvernement conservateur, qui avait «consciemment décidé de réduire au maximum le nombre de porte-parole pour favoriser l'image d'un message hyper cohérent au service de l'objectif stratégique», note-t-il.

Les statistiques de la Tribune de la presse parlementaire canadienne ne le précisent pas, mais la donne a changé chez les bleus. Relégués dans les banquettes de l'opposition, les conservateurs ne fuient en effet plus la presse comme la peste.

«Il y a probablement plusieurs conservateurs qui avaient hâte que M. Harper s'en aille, suggère M. Giasson. Il y a des gens dans cette équipe-là qui ont commis des erreurs, qui ont été punis pour ces erreurs-là, qui peuvent maintenant prendre la parole, et qui la prennent.»

Et plus largement, ils sont confrontés à «un leadership d'accessibilité» auquel les Canadiens «sont en train de s'habituer» - ce dont devront prendre bonne note les candidats à la direction du Parti conservateur, selon le politologue spécialisé en communication politique.

Car Justin Trudeau, «même s'il se casse les dents, même s'il est confronté à des foules hostiles, il "va au bat", et les gens apprécient ça, je pense», fait valoir Thierry Giasson à l'autre bout du fil.