Ottawa interdira complètement l'amiante et l'importation de produits qui en contiennent dès 2018, mais rassure du même souffle les régions du Québec qui souhaitent exploiter les résidus miniers.

Quatre ministres ont été déployés jeudi au centre de cancérologie d'un hôpital d'Ottawa pour cette annonce sur des mesures «exhaustives» qui mèneront à l'interdiction complète de ce produit cancérogène.

Le gouvernement de Justin Trudeau déposera de nouveaux règlements qui prohiberont la production, l'utilisation, l'importation ou l'exportation d'amiante. Il instaurera aussi de nouvelles protections pour les travailleurs, mettra à jour l'inventaire des immeubles fédéraux qui en contiennent et changera les codes du bâtiment.

Le Canada a arrêté de produire de l'amiante quand la mine Jeffrey, à Asbestos, a cessé ses activités en 2011. Le pays continuait malgré tout d'importer des produits qui en contenaient, comme des plaquettes de frein et des matériaux de construction.

Ottawa n'interdira toutefois pas aux villes québécoises d'Asbestos et de Thetford Mines de revaloriser les résidus d'amiante, afin d'en tirer notamment du magnésium.

La ministre des Sciences, Kirsty Duncan, a confié avoir parlé avec les maires de ces deux villes la veille et avoir entendu leurs préoccupations. «Nous comprenons la longue histoire minière du Québec et nous voulons être sensibles au développement économique», a-t-elle noté.

Sa collègue de l'Environnement et des Changements climatiques, Catherine McKenna, a ajouté que le dossier des résidus relevait en réalité des lois provinciales.

«Pour les résidus, ils ne seront pas inclus. C'est les lois et les règlements des provinces qui s'appliquent sur cette question. Comme on le fait toujours, on va travailler en partenariat avec les provinces et territoires», a-t-elle assuré.

Lors d'une séance d'information technique un peu plus tard, les fonctionnaires fédéraux n'ont pas été en mesure de confirmer que l'exclusion des résidus de la stratégie fédérale d'interdiction de l'amiante serait permanente. Ils ont plutôt insisté sur le fait qu'un «processus de consultations» allait être mené, semblant cultiver un certain flou sur son interdiction dans un avenir plus lointain.

Les entreprises Mag One et Alliance-Magnésium planchent actuellement sur des projets pour extraire le magnésium des résidus miniers des anciennes mines d'amiante, des projets qui pourraient relancer des économies locales mises à mal.

«Présentement, (les projets-pilotes représentent) quelques emplois, a indiqué le maire d'Asbestos, Hugues Grimard. À court et moyen terme, c'est des centaines d'emplois, c'est des centaines de millions d'investissements chez nous.»

Le maire se dit ravi de pouvoir rassurer les investisseurs.

Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, pousse lui aussi un soupir de soulagement. «Ce que j'apprécie dans l'annonce (...), c'est qu'ils prennent acte de la situation. Il n'y a plus de mine d'amiante active au Québec. Cependant, il y a des travailleurs sur ces sites-là qui extraient du magnésium. Et ça, ils ont été bien précis dans leur annonce de dire que cette activité était préservée.»

Santé

L'amiante est largement reconnu pour causer le cancer du poumon et le mésothéliome, deux problèmes de santé agressifs et mortels.

Le casque de travailleur de son père décédé l'an dernier entre les mains, Michelle Côté a expliqué que la dernière volonté de son père avait été qu'elle se batte pour faire connaître les ravages liés à l'amiante. Ayant été chaudronnier toute sa vie, il était en contact régulier avec cette substance dangereuse. Il est mort en juillet dernier d'un mésothéliome.

«Il savait qu'au cours des années, il avait probablement été exposé beaucoup. Mais sa plus grande crainte était qu'un d'entre nous, (ses enfants), l'ait attrapé par ses vêtements, quand il revenait à la maison. Et c'est à ce moment qu'il m'a dit: vas-y, bats-toi, raconte mon histoire», a-t-elle confié.

Davy John Pacheco, un travailleur qui désamiante des édifices et des maisons depuis quatre ans, craint lui aussi pour sa santé, même s'il prend toutes les mesures nécessaires pour se protéger.

«On ne sait jamais. Et le pire de ça, c'est que le résultat (la maladie) ne sort pas avant 15 ou 20 ans», a-t-il confié.

«Je n'en reviens pas qu'on utilisait encore des matériaux de construction il y a 10 ans qui avaient justement cette matière-là dedans. Mais vaut mieux tard que jamais», a-t-il noté.

La ministre de la Santé, Jane Philpott, a d'ailleurs admis que les ravages de cette substance seront ressentis encore pour plusieurs années.

«Chaque jour, les Canadiens continuent d'être exposés à l'amiante et à des produits qui en contiennent (...). Il n'y a pas de doute que, malheureusement, nous allons continuer de voir de nouveaux diagnostics liés à une exposition antérieure», a-t-elle indiqué. Elle entend suivre la situation de près et s'assurer que le nombre de cas diminue avec les années.

Selon Gabriel Miller, de la Société canadienne du cancer, près de 2300 nouveaux cas de maladies liées à l'amiante sont décelés chaque année.

«Nous espérons commencer à voir un déclin cette année, a-t-il indiqué. Ce n'est pas encore arrivé, espérons que nous soyons à un sommet, mais cela signifie quand même que, pour les années à venir, nous soyons plus ou moins au niveau actuel.»

Selon l'Organisation mondiale de la santé, 125 millions de personnes à travers le monde sont exposées à l'amiante sur leur lieu de travail.

Ottawa a annoncé qu'il allait revoir la position canadienne sur l'amiante en vue de la prochaine rencontre des signataires de la Convention de Rotterdam et pourrait ainsi se joindre aux 156 pays qui considèrent la substance comme dangereuse. En septembre 2012, le gouvernement conservateur d'alors avait déjà indiqué qu'il ne s'opposait plus à son ajout à la liste des produits dangereux établie par cette Convention.