Le gouvernement Trudeau dit «avoir toujours l'intention» de mener à terme sa promesse de réforme électorale, mais la ministre fédérale des Institutions démocratiques Maryam Monsef se dit «déçue» des recommandations du comité spécial de députés, qui lui suggère majoritairement de faire un référendum entre le système électoral actuel et un nouveau système électoral qui comporterait une forme de vote proportionnel.

Les députés libéraux ont inscrit leur dissidence devant ces recommandations qu'ils jugent «précipitées et trop radicales». Ce qui fait dire à la ministre Monsef que «le seul consensus que le comité est parvenu à obtenir, c'est qu'il n'y a pas de consensus.»

«Je dois admettre que je suis un peu déçue parce que nous espérions que le comité nous donnerait une alternative spécifique à notre système [électoral actuel]. À la place, le comité nous a donné l'index Gallagher. Même si le comité n'a pas complété le travail auquel nous nous attendions, ça correspond à ce que nous avons entendu des Canadiens», a dit la ministre Monsef, qui dit avoir toujours l'intention de déposer un projet de loi sur la réforme électorale au printemps 2017. 

En campagne électorale, les libéraux de Justin Trudeau avaient promis que les élections de 2015 seraient les dernières avec le système électoral actuel. La majorité du comité - tous les députés de l'opposition, en fait - a recommandé ce référendum entre les deux modes de scrutin au gouvernement Trudeau. Le gouvernement Trudeau lancera aujourd'hui une consultation à travers le pays. Une lettre sera envoyée par la poste dans chaque foyer, et les Canadiens pourront répondre à des questions sur le sujet en ligne ou par téléphone.

«Vous ne pouvez pas pousser sur un ressort»

Les cinq députés libéraux membres du comité spécial sur la réforme électorale ont expliqué leur dissidence parce le fait qu'ils ne sentaient pas les Canadiens «prêts à voter dans un référendum» sur une réforme électorale «parce qu'ils ne sont pas engagés» dans ce débat. Des propos qui font écho à ceux prononcés par Justin Trudeau en entrevue au Devoir en octobre dernier. 

«Vous ne pouvez pas pousser sur un ressort. Vous ne pouvez pas forcer les gens à être engagés», dit le député libéral Francis Scarpaleggia, qui présidait le comité spécial, mais qui a signé le rapport minoritaire des députés libéraux. Au contraire des députés de l'opposition, M. Scarpaleggia estime qu'un référendum est un «moyen valable parmi d'autres» pour mesurer l'appui de la population à un projet.

Le député libéral Francis Scarpaleggia reconnaît que la grande majorité des intervenants devant le comité - 90 %, selon le NPD - étaient favorables à une forme de scrutin proportionnel. «Il y a une communauté au Canada très engagée sur cet enjeu, mais nous devons nous assurer qu'ils reflètent une opinion plus large [des Canadiens], dit-il. Si vous allez trop vite dans la mauvaise direction, vous alimentez le cynisme des gens. [...] [Durant les audiences du comité], il y avait un consensus parfois presque alarmant, tout le monde ramait dans le même sens. Ce sont des gens passionnés, sincères qui voulaient un changement, mais je ne suis pas certain que ce soit la volonté de la population.»

L'opposition insultée

La réaction de la ministre Monsef au rapport du comité spécial - composé en majorité de députés de l'opposition, ce qui est très rare dans un Parlement formé d'un gouvernement majoritaire - n'a vraiment pas plu aux partis d'opposition.  

«Si Justin avait été ici aujourd'hui, j'aurais peut-être [demander la démission de la ministre Monsef], dit Rona Ambrose, chef intérimaire du Parti conservateur. Je lui aurais demandé si c'était la façon de se conduire d'une ministre des Institutions démocratiques. Les députés ont travaillé en coopération pendant des mois. [...] Elle a demandé ce rapport, Justin Trudeau a demandé ce rapport. Et après tout ce travail, parce qu'ils n'ont pas eu la réponse qu'ils voulaient, elle insulte le travail du comité. C'est insultant pour les députés et vous savez quoi, aussi pour les Canadiens qui se sont exprimés par le biais de ce groupe de gens.»

Le Nouveau Parti démocratique, qui se réjouissait de l'option d'une forme de scrutin proportionnel dans les recommandations du comité, espère que le gouvernement Trudeau «ira de l'avant» malgré son accueil tiède du rapport. «Le NDP, les conservateurs, le Bloc et les Verts trouvent un consensus pour que les libéraux puissent respecter une de leurs promesses. J'ai toujours de l'espoir», dit le député du NDP Nathan Cullen. 

«C'est le gouvernement qui a mis en place ce processus-là, dit le député néo-démocrate Alexandre Boulerice. Ils y croyaient. [...] Le gouvernement n'a jamais dit "ça prend 100 000 personnes qui participent pour que ce soit valide". Ils ont dit: voici le processus et au bout de la ligne, il faut changer le système électoral. Aujourd'hui, ils disent "Ah bien, il n'y a pas assez de gens qui y ont participé". C'est quoi, la barre? C'est quoi, le minimum? [...] La promesse électorale, c'est: changeons le système électoral pour quelque chose de plus juste et nous avons participé de bonne foi.»

L'indice Gallagher et une forme de proportionnalité 

Le comité recommande au gouvernement Trudeau de tenir un référendum entre un nouveau mode de scrutin et le système actuel (majoritaire uninominal à un tour). Comme nouveau mode de scrutin, le comité suggère d'introduire une forme de mode de scrutin proportionnel, sans toutefois préciser laquelle. Ce serait au gouvernement Trudeau à prendre cette décision. Pour présenter en référendum face au régime actuel, le comité recommande une forme de scrutin avec un élément de proportionnalité qui atteindrait un indice Gallagher de 5. 

À la Chambre des communes, la ministre Monsef a tourné en dérision la recommandation sur l'indice Gallagher, un indice créé par l'universitaire irlandais Michael Gallagher qui mesure la proportionnalité des résultats électoraux (exemple de proportionnalité parfaite : 20 % des votes, 20 % des sièges). «Le comité ne nous a pas offert d'alternative. Au lieu, ils nous ont offert l'indice Gallagher. L'honorable député [Rona Ambrose] nous demande de faire un référendum sur la question suivante : est-ce que les Canadiens veulent prendre la racine carrée de la somme du carré de la différence entre le pourcentage des sièges de chaque parti et le pourcentage des votes», a dit la ministre Monsef. 

Le Bloc québécois appuie les recommandations majoritaires du comité spécial sur la réforme électorale, notamment parce qu'«en aucun cas le poids politique du Québec ne devait être diminué», dit Luc Thériault, député du Bloc québécois.