Quarante ans après son père, Justin Trudeau se rend à Cuba mardi, au moment où l'élection de Donald Trump jette de l'incertitude sur la poursuite du processus de normalisation des relations entre les États-Unis et l'île communiste.

Cette visite officiellement destinée, selon le bureau du premier ministre Trudeau, à « renouveler et resserrer » les liens du Canada avec Cuba, l'un de ses « partenaires les plus proches » dans les Amériques, revêt dans les faits une dimension personnelle et familiale.

Contre l'avis de Washington, Pierre Elliott Trudeau était devenu en janvier 1976, en pleine « guerre froide », le premier dirigeant d'un pays de l'OTAN à se rendre à Cuba, rappelle à l'AFP John Kirk, politologue à l'université Dalhousie à Halifax.

Sur les photos de l'époque, « le commandant de la révolution », dans son célèbre treillis vert olive, soulève à bout de bras un bambin de quelques mois en le regardant d'un air attendri, et qui n'est autre que Michel, petit frère de Justin Trudeau, mort dans une avalanche dans l'Ouest canadien en 1998.

Pierre Elliott Trudeau et Fidel Castro allaient nouer une amitié profonde, jamais démentie. Le Cubain, ébranlé, s'était déplacé à Montréal en 2000 pour les funérailles de son ami.

Pendant son déplacement d'une trentaine d'heures à La Havane, Justin Trudeau rencontrera le président Raul Castro, qui a succédé en 2008 à son frère affaibli par la maladie.

Officiellement, aucune rencontre n'est prévue avec l'ancien « lider maximo », mais « il y a une chance » qu'il y en ait une, a indiqué à La Presse canadienne l'ambassadeur de Cuba au Canada, Julio Garmendia Pena.

Relations jamais rompues

C'est une visite « symbolique » aussi car le Canada est le seul pays des Amériques avec le Mexique à n'avoir jamais rompu ses relations avec La Havane après la révolution, « malgré des pressions significatives de la part de Washington », souligne John Kirk, auteur de nombreux ouvrages sur Cuba.

Et Ottawa a toujours dénoncé l'embargo économique américain, en vigueur depuis 1962 mais assoupli par Barack Obama.

« Bien que le Canada dépende des États-Unis pour 70 % de son commerce, cette visite - d'autant plus importante qu'elle survient après l'élection de Trump - symbolise l'indépendance canadienne » en matière de politique étrangère, poursuit-il.

La visite sera la première d'un premier ministre canadien depuis celle du libéral Jean Chrétien en 1998.

Pour Justin Trudeau, il s'agit aussi de dynamiser les relations bilatérales avec Cuba, tombées « au plus bas » pendant la décennie au pouvoir de son prédécesseur, le conservateur Stephen Harper.

C'est néanmoins sous ce dernier que le Canada a été l'hôte de plusieurs rondes de « pourparlers secrets » ayant abouti en décembre 2014 au dégel historique des relations entre Cuba et les États-Unis.

Donald Trump a d'abord soutenu ce dégel, mais une fois en campagne, il a affiché des réserves, regrettant que le président démocrate n'ait rien obtenu en échange des assouplissements à l'embargo.

Le mois dernier, il a même affirmé qu'il ferait « tout pour obtenir un accord solide » avec La Havane, laissant ainsi présager d'un retour en arrière.

Encore aujourd'hui, cet embargo explique en partie les hésitations de bien des entreprises canadiennes à investir à Cuba, craignant les représailles des États-Unis, où elles sont souvent fortement implantées.

Le commerce bilatéral entre le Canada et Cuba atteint à peine un milliard de dollars américains par année, même pas l'équivalent des échanges quotidiens canado-américains.

Les Canadiens forment le plus important contingent de touristes étrangers dans l'île, avec 1,3 million de visiteurs l'an dernier, soit près de 40 % du total.

« Croissance économique, gouvernance inclusive » avec respect des libertés individuelles, « changement climatique et égalité des sexes » sont au programme de la visite à Cuba, ainsi qu'en Argentine où M. Trudeau se rendra ensuite avant le sommet des dirigeants de la région Asie-Pacifique (APEC) au Pérou.

PHOTO FRED CHARTRAND, ARCHIVES PC

En janvier 1976, Pierre Elliott Trudeau était devenu le premier dirigeant d'un pays de l'OTAN à se rendre à Cuba en pleine « guerre froide ».