Le gouvernement fédéral doit de toute urgence dépoussiérer et moderniser les lois canadiennes en matière de protection de renseignements personnels afin de tenir compte des changements technologiques fulgurants qui sont survenus au cours des dernières années, estime le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien.

Selon lui, reporter indéfiniment un tel exercice risque de compromettre la protection de la vie privée des Canadiens - voire compromettre leur sécurité lorsqu'ils voyagent à l'étranger - et miner la confiance des consommateurs dans l'économie numérique, «une condition essentielle de la croissance économique».

Des outils «insuffisants»

Dans son rapport, intitulé Le temps est venu de moderniser les outils du 20e siècle, le commissaire à la protection de la vie privée Daniel Therrien rappelle que l'internet n'existait pas quand le gouvernement fédéral a adopté la Loi sur la protection des renseignements personnels, en 1983. Et que des médias sociaux comme Facebook étaient des innovations qui n'avaient pas encore germé dans la tête de leurs inventeurs quand une deuxième loi en la matière, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, a été promulguée en 2001.

«Le rythme incessant des changements technologiques exerce des pressions toujours croissantes sur la vie privée. Cet environnement exige une approche moderne de la protection des renseignements personnels. Nous essayons comme société de nous servir d'outils du XXe siècle pour résoudre des problèmes du XXIe siècle, et il est évident que ces outils sont de plus en plus insuffisants», a affirmé M. Therrien en conférence de presse.

De graves conséquences

Il y aura inévitablement de graves conséquences pour les Canadiens si le gouvernement fédéral tarde à moderniser les lois en matière de protection des renseignements personnels. Ces renseignements pourraient être mal protégés par le gouvernement ou le secteur privé et se retrouver inopinément entre les mains d'individus ou d'organismes qui ne devraient pas y avoir accès. Les Canadiens pourraient perdre confiance dans l'économie numérique. Des sondages indiquent que 90% des Canadiens sont très préoccupés par leur incapacité à protéger leurs renseignements personnels.

«Ultimement, si nous ne faisons rien, les conséquences seront réelles: risque d'atteinte à la protection des renseignements personnels, collecte et échange excessif de renseignements personnels par les entreprises et les gouvernements et diminution de la confiance dans l'économie numérique», a dit M. Therrien.

Les lacunes de la loi antiterroriste

Le commissaire Daniel Therrien se dit de nouveau inquiet que les ministères puissent partager plus facilement les renseignements qu'ils détiennent avec les agences de renseignement et les forces de l'ordre - des pouvoirs qui leur ont été accordés en vertu de la Loi antiterroriste (C-51). Le commissaire s'étonne d'ailleurs que la plupart des ministères n'aient pas fait d'évaluation de l'impact de la mise en oeuvre de cette loi sur la protection de la vie privée.

Six mois après l'entrée en vigueur de C-51, les ministères et agences gouvernementales ont communiqué des renseignements personnels à 58 reprises et en ont reçu à 52 reprises. Ces renseignements concernaient des personnes soupçonnées de présenter une menace à la sécurité. Le gouvernement Trudeau a promis de modifier la Loi antiterroriste afin de mieux protéger les droits et libertés des individus.

Mieux encadrer le secteur privé

Grâce aux nouvelles technologies, les entreprises peuvent suivre à la trace des clients potentiels et analyser leur comportement comme jamais auparavant. Selon le commissaire Daniel Therrien, il faut mieux encadrer la notion de consentement à la collecte, à l'utilisation et à la communication de renseignements personnels pour éviter la multiplication de techniques de marketing «envahissantes».

Le commissaire a d'ailleurs lancé des consultations publiques afin de trouver des solutions possibles permettant de mieux encadrer la notion de consentement. «L'obtention du consentement sur la base de conditions d'utilisation que personne ne lit n'est pas un moyen efficace de protéger les renseignements personnels. On doit faire beaucoup mieux», a-t-il dit.

Communication de métadonnées

Dans son rapport, le commissaire Daniel Therrien revient sur la controverse entourant la communication de métadonnées par le Centre de la sécurité des télécommunications (CST) à des partenaires internationaux du domaine de la sécurité en 2014. À l'époque, le CST avait soutenu que les risques d'atteinte à la vie privée étaient minimes parce que les métadonnées ne contenaient pas de renseignements personnels  «sensibles» comme le nom d'individus, ni de détails contextuels qui les concernaient ou encore la teneur des communications.

Mais Daniel Therrien demeure sceptique devant ces explications. «Les métadonnées peuvent révéler des renseignements très sensibles concernant les activités, les relations, les champs d'intérêt et d'autres éléments de la vie d'un individu», écrit-il dans son rapport.

Le modèle européen

Selon M. Therrien, le gouvernement canadien devrait s'inspirer de l'Union européenne en modernisant ses lois relatives à la protection des renseignements personnels. «Certains gouvernements ont déjà pris des mesures pour renforcer leur cadre de protection de la vie privée, en particulier l'Union européenne. Si l'Union juge que les lois canadiennes en matière de la protection de la vie privée ne sont plus équivalentes aux siennes, les relations commerciales entre le Canada et l'Europe risquent de devenir difficiles. C'est ce qui est arrivé aux États-Unis lorsque l'accord Safe Harbor a été invalidé par les tribunaux européens», a-t-il dit.

Goodale réagit

Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a dit accueillir favorablement les critiques et les recommandations du commissaire à la protection de la vie privée Daniel Therrien, notamment en ce qui a trait aux changements qui devraient être apportés à la Loi antiterroriste.

«Je porte un grand intérêt à l'examen, aux commentaires et aux recommandations du commissaire à la protection de la vie privée. Je vois en lui un acteur important pour assurer la reddition de comptes par le gouvernement. Il a fait l'examen de la première période de mise en vigueur de la Loi C-51 au sujet de l'échange d'informations. Il a des préoccupations importantes et je vais les traiter avec sérieux parce que ses opinions comptent», a dit le ministre Goodale.