Québec se fait taper sur les doigts dans le dossier des frais accessoires: Ottawa annonce que le montant des transferts en santé que touchera le gouvernement québécois sera amputé des sommes surfacturées aux usagers du réseau de santé de la province.

La ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, a signalé dans une lettre envoyée le 6 septembre à son homologue québécois Gaétan Barrette que l'imposition de frais accessoires contrevenait à la Loi canadienne sur la santé.

Par conséquent, des «déductions équivalentes» aux sommes payées par les patients en 2014-2015 «s'appliqueront obligatoirement aux paiements du Transfert canadien en matière de santé», a-t-elle écrit dans cette missive.

La ministre Philpott a plaidé lundi, en mêlée de presse, que cette démarche s'imposait «afin que les Canadiens sachent qu'ils paient déjà pour leurs soins de santé et qu'ils obtiendront ces soins de santé».

Lorsqu'on lui a demandé si d'autres gouvernements provinciaux et territoriaux pourraient se faire servir la même médecine, elle a simplement répliqué qu'elle avait «discuté avec tous (ses) collègues de la Loi canadienne sur la santé».

Le ministre Barrette a extrêmement mal digéré cette décision «irresponsable» d'Ottawa - d'autant plus qu'elle survient alors que les libéraux ont déjà annoncé qu'ils passeront la hache dans les paiements de transfert en santé.

Il dit avoir l'intention de contester la décision devant les tribunaux. Selon lui, le Québec n'a jamais considéré qu'il était assujetti à loi canadienne, et le fédéral l'a toujours toléré.

Si le gouvernement Trudeau a décidé de bouger, c'est peut-être pour «éponger le déficit», a suggéré M. Barrette, d'après qui Jane Philpott s'apprête à devenir «la ministre qui aura présidé aux plus importantes coupes en santé».

Le chef intérimaire du Bloc québécois, Rhéal Fortin, est d'avis que l'imposition de frais accessoires devait être abolie - cela sera interdit dès janvier, a annoncé le gouvernement du Québec mercredi dernier, soit après l'envoi de la lettre de la ministre Philpott.

Mais cette seule décision aurait dû satisfaire le fédéral, qui pénalisera les patients en coupant dans les transferts, a regretté M. Fortin. «Où pensez-vous que ça va être pris, cet argent-là? Ce sont les malades qui vont payer pour ça», s'est-il exclamé en mêlée de presse.

Refiler la facture aux médecins?

Selon l'avocat Jean-Pierre Ménard, qui avait déposé en mai un recours «pour faire cesser la pratique illégale des frais accessoires», la facture pourrait en grande partie être refilée aux médecins responsables de cette surfacturation.

«Ces frais-là ont été perçus illégalement par les médecins, alors ce que Québec devrait faire, c'est d'aller les »repercevoir« chez les médecins et les redistribuer aux patients», a plaidé en entrevue téléphonique l'avocat spécialisé en droit de la santé.

Cela serait difficilement réalisable, a signalé le ministre Barrette en entrevue avec La Presse canadienne.

Des évaluations effectuées par la Fédération des médecins spécialistes (FMSQ) et la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ) chiffrent à 83 millions $ les revenus annuels tirés des frais accessoires - 65 millions $ chez les spécialistes et 18 millions $ chez les médecins de famille.

La surfacturation des patients n'est pas un problème exclusivement québécois, mais «on l'a tellement toléré au Québec que ça a pris des proportions monstrueuses», a expliqué Me Ménard.

«Québec a été complaisant et tolérant en pleine connaissance de cause», a-t-il tranché, qualifiant de «ridicule» et de «risible» la menace de recours judiciaire formulée par le ministre Barrette, qui n'a à ses yeux «aucun fondement juridique sérieux».

En mai, le bureau du Vérificateur général du Québec (VGQ) avait blâmé dans un rapport le ministère de la Santé pour son piètre encadrement des frais accessoires.

Dans sa lettre, Mme Philpott fait référence au rapport et rappelle que l'estimation des frais imposés y figurant n'est «pas représentative de toute la surfacturation ayant cours au Québec».

Or, «la Loi canadienne sur la santé exige (des) provinces et (des) territoires qu'ils déclarent annuellement à Santé Canada toute surfacturation et tous frais d'utilisation», écrit-elle.

La ministre Philpott dit donc compter «sur une collaboration entre nos représentants officiels qui donnera lieu à une approche qui correspond aux montants réels de la surfacturation et des frais d'utilisation ayant cours au Québec».