Alors qu'il promet d'intensifier la lutte contre les changements climatiques, le premier ministre Justin Trudeau a rencontré des dirigeants de l'industrie pétrolière à son bureau à Ottawa à au moins quatre reprises depuis le début de l'année.

Suncor Energy Inc. (à trois reprises), Imperiod Oil Limited, Shell Canada, Cenovus Energy et Petroleum Services Association of Canada font partie des entreprises et des organisations qui ont réussi à obtenir une rencontre avec le premier ministre au cours des trois premiers mois de 2016 afin de faire valoir leurs préoccupations et leurs ambitions, a constaté La Presse en parcourant le registre du Commissariat au lobbying du Canada.

La première rencontre a eu lieu le 11 janvier et elle réunissait M. Trudeau et les dirigeants de Suncor Energy seulement, selon les informations qui ont été divulguées au Commissariat du lobbying. Une table ronde regroupant les représentants de six entreprises ou organisations liées à l'industrie pétrolière a eu lieu le 4 février.

Le ministre des Ressources naturelles, Jim Carr, ainsi que le ministre des Anciens Combattants, Kent Hehr, qui représente la région de Calgary à la table du cabinet, ont participé à cette table ronde.

La dernière réunion qui apparaît au registre a eu lieu le 10 mars. M. Trudeau s'est alors entretenu de nouveau avec les dirigeants de Suncor Energy, sans ministre et sans conseiller.

Exportation et subventions

Selon les informations obtenues par La Presse, les sujets abordés durant les rencontres portaient notamment sur les mesures que compte prendre le gouvernement Trudeau pour permettre l'exportation du pétrole, les cibles d'Ottawa en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour l'industrie pétrolière, l'intention du gouvernement d'éliminer les subventions aux combustibles fossiles et l'embauche de travailleurs temporaires étrangers.

En tout, l'industrie pétrolière a obtenu 4 des 35 rencontres qui ont été organisées au bureau du premier ministre entre janvier et mars et qui ont été inscrites au registre du Commissariat au lobbying.

Les autres groupes qui ont été reçus sont l'Association canadienne des retraités fédéraux, l'Association canadienne de la construction, Xerox Canada, Human Rights Watch, l'organisation qui représente les survivants des pensionnats autochtones, l'Alliance canadienne des associations étudiantes, la Chambre de commerce du Canada, entre autres.

Durement secouée par la chute brutale des prix du baril de pétrole depuis 18 mois, et déçue par le refus du président américain Barack Obama de donner le feu vert à la construction de l'oléoduc Keystone XL qui devait permettre d'acheminer le pétrole issu des sables bitumineux de l'Alberta jusqu'aux raffineries du Texas, l'industrie pétrolière du Canada semble être à court d'options pour être en mesure d'exporter son produit sur les marchés étrangers.

Énergie-Est

L'arrivée au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau, le 4 novembre dernier, ne semble pas avoir anéanti l'espoir de cette industrie de voir le gouvernement fédéral autoriser la construction de l'oléoduc Énergie-Est, qui permettrait d'acheminer le pétrole lourd de l'Alberta jusqu'à des raffineries de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, d'où il pourrait être exporté.

Au cours des dernières semaines, d'ailleurs, Justin Trudeau a soutenu à quelques reprises que «l'une des responsabilités fondamentales de tout premier ministre canadien - et cela remonte à plusieurs siècles, du grain sur les chemins de fer, au poisson et à la fourrure - est d'amener les ressources canadiennes sur les marchés internationaux».

Pour y arriver, « nous devons être responsables concernant l'environnement. Nous devons respecter les inquiétudes des communautés et nous devons conclure des partenariats avec les peuples autochtones », a-t-il toutefois pris soin de noter.

Depuis janvier, M. Trudeau s'est aussi rendu à deux reprises en Alberta - en février et en avril - afin de discuter des mesures de relance pouvant aider cette province durement éprouvée par la chute des prix du pétrole en compagnie de la première ministre Rachel Notley. Mme Notley a profité de l'occasion pour plaider en faveur de la construction de l'oléoduc Énergie-Est. Et à chacune de ces deux visites, M. Trudeau a aussi rencontré les dirigeants de l'industrie pétrolière.

Au bureau du premier ministre, un porte-parole, Cameron Ahmad, a affirmé que M. Trudeau a l'obligation de rencontrer les gens d'affaires, peu importe leur secteur d'activité.

«Il est important pour le premier ministre de rencontrer les représentants d'entreprises, tout comme il est important de rencontrer et d'échanger avec les représentants d'une multitude d'industries et de groupes - y compris les syndicats, les groupes environnementalistes et les communautés autochtones», a-t-il dit.

À titre de comparaison, il a souligné que M. Trudeau a tenu six événements et rencontres avec des représentants des peuples autochtones dans trois provinces.

- Avec William Leclerc, La Presse

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INQUIÉTUDE CHEZ LES GROUPES ENVIRONNEMENTAUX

Le directeur général d'Équiterre, Sidney Ribeaux, s'est dit inquiet de voir que l'industrie pétrolière a un aussi grand accès au bureau du premier ministre. «Comme citoyen, il faut s'inquiéter quand n'importe quelle industrie a davantage accès au premier ministre que les citoyens eux-mêmes. À ma connaissance, il n'y a pas eu de groupes environnementaux majeurs canadiens qui ont eu un tête-à-tête avec le premier ministre encore, même si on le croise dans des événements», a-t-il dit. 

«Le discours de M. Trudeau, à mon avis, est contradictoire. D'une part, on dit qu'on veut atteindre des objectifs ambitieux au niveau environnemental. Mais d'autre part, on laisse entendre qu'on pourrait continuer d'approuver des infrastructures d'énergie fossile en même temps. L'un ne va pas avec l'autre. On ne peut pas faire les deux. Il faut faire un choix. Mais M. Trudeau est en train de se peinturer dans un coin en disant cela. Tôt ou tard, il devra marcher sur la peinture», a affirmé M. Ribeaux.