Le futur sénateur André Pratte reconnaît qu'il « a toujours dit que le mensonge faisait partie du système politique ». Maintenant qu'il fait lui-même partie de ce monde, il espère que son statut de parlementaire indépendant lui permettra d'éviter ce piège.

Le thème du mensonge en politique a été décortiqué par le journaliste dans un essai intitulé Le syndrome de Pinocchio - un ouvrage qui a fait beaucoup de vagues en 1997 et qui a même valu à son auteur une motion de blâme à l'Assemblée nationale.

« Des politiciens qui ne mentent pas? Impossible », concluait M. Pratte dans un livre qu'il avait rédigé après un passage comme correspondant au Parlement, présenté dans le même bouquin comme « le temple du mensonge ».

Lorsqu'on lui demande si, avec ses nouveaux habits de politiciens, il fait la même analyse, il tente d'esquiver : « Je ne suis pas encore un politicien, parce que je n'ai pas été assermenté comme sénateur encore. C'est une façon habile de se sortir de ça?».

« Non ». Il répond à sa propre question en riant. « Je ne sais pas comment je vais m'en tirer avec celle-là. Honnêtement, je ne le sais pas, lâche-t-il. J'ai toujours dit que le mensonge faisait partie du système politique. »

« Le statut de sénateur indépendant, j'espère, va nous permettre de dire la vérité tout le temps. J'espère. Honnêtement, j'espère. Mais je suis peut-être très naïf », poursuit M. Pratte, qui fait partie des sept nouveaux sénateurs recommandés vendredi par le premier ministre Justin Trudeau.

Pas de ligne de parti à respecter

Car à titre d'indépendants, les recrues n'auront pas à suivre de ligne de parti ou respecter les décisions du cabinet, ce qui crée l'« obligation de mentir » pour ceux qui y sont soumis, plaide celui qui a oeuvré 37 ans dans les médias, dont 14 comme éditorialiste en chef au quotidien La Presse.

« Comme sénateur indépendant, en principe, on vote selon sa conscience tout le temps. Et c'est ce qui m'attire beaucoup. C'est ce qui m'attire beaucoup dans les changements que M. Trudeau a apportés : il n'y a pas de ligne de parti », a expliqué M. Pratte.

« Je trouve que ça risque de donner une présence complètement différente au processus législatif », a-t-il suggéré.

Le journaliste a décidé de faire le grand saut après que des amis lui eurent suggéré de poser sa candidature. Il n'y avait « pas pensé avant », mais s'est laissé convaincre, la réforme de la chambre haute initiée par les libéraux étant l'un des facteurs ayant « suscité (son) intérêt ».

Résultat : il s'est retrouvé sur la liste de 25 personnes fournie au premier ministre par un comité consultatif indépendant. Il a appris la semaine dernière que Justin Trudeau recommanderait sa nomination au gouverneur général David Johnston.

André Pratte est maintenant à la recherche d'une propriété dans la division sénatoriale québécoise dont il sera le représentant, celle de Salaberry. Il doit y acquérir une terre ou un immeuble d'une valeur d'au moins 4000 $, comme le prévoit la Constitution.

Viendra ensuite l'assermentation, puis le début d'une deuxième carrière. Et « ce n'est pas sans une certaine inquiétude que j'entre dans ce monde-là » - celle de « ne pas atteindre les standards que j'ai moi-même imposés aux autres pendant ma carrière d'éditorialiste », dit-il.

« Parce que là, évidemment, les gens vont faire exactement ce que vous venez de faire avec le mensonge, et avec raison : ils vont me le retourner dans la figure en disant : «Hey, tu disais qu'il fallait faire ça en politique, là t'es dedans et c'est pas ça que tu fais», souligne M. Pratte.

Nomination critiquée

Le Bloc québécois n'a pas tardé à critiquer la nomination «partisane» de cet ardent fédéraliste au poste de sénateur.

«Souhaitons qu'André Pratte le sénateur prenne conscience qu'il est un non-élu et qu'il ne s'élèvera pas au-dessus des choix démocratiques du Québec comme André Pratte l'éditorialiste pouvait se permettre de le faire», a déclaré le chef intérimaire Rhéal Fortin.

«Son nouveau rôle est de servir le Québec, pas de lui dire quoi penser», a-t-il ajouté.