Des milliers de fonctionnaires fédéraux se sont fait payer des dizaines de millions de dollars par erreur au cours des dernières années en raison du système de paye vétuste du gouvernement, toujours en fonction malgré ses 45 ans. Or, ce cafouillage administratif sera bientôt chose du passé promet Ottawa, grâce au nouveau système de paye Phénix, dont l'implantation débutera mercredi prochain, six ans après son annonce.

Système inefficace

Année après année, des fonctionnaires fédéraux sont victimes de l'inefficacité du système de paye. Pas étonnant, puisqu'il dépend d'une technologie désuète et de documents papier. Résultat : en date du 21 décembre dernier, 9240 employés devaient plus de 14 millions de dollars au gouvernement, soit 1550 $ en moyenne, selon des informations obtenues grâce à la Loi sur l'accès à l'information. À la fin 2014, deux fois plus d'employés avaient une dette à l'endroit de leur employeur. Ces 17 000 fonctionnaires étaient tenus de rembourser 20 millions au Trésor public. Ces sommes ne représentent pas les salaires versés en trop pour chaque année, mais plutôt les sommes dues par les employés le 31 décembre de chaque année.

Sommes dues au gouvernement fédéral par les employés en date du 31 décembre de chaque année

• 2012 : 18 millions, 15 522 employés (1159 $ en moyenne)

• 2013 : 19,6 millions, 16 403 employés (1196 $ en moyenne)

• 2014 : 20,4 millions, 17 131 employés (1194 $ en moyenne)

• 2015 : 14,3 millions, 9240 employés (au 21 décembre) (1551 $ en moyenne)

Causes multiples

Les erreurs de paye se produisent dans de nombreuses circonstances, le plus souvent pour des raisons indépendantes de la volonté des employés, comme lors d'un changement d'horaire, d'une cessation d'emploi ou de la prise d'un congé sans solde. « Présentement, tout est fait avec du papier qui passe de bureau en bureau. Le temps que ce soit traité par le système de paye, les données sont rentrées et c'est trop tard, il y a des trop-payés », illustre Brigitte Fortin, sous-ministre adjointe de la direction générale de la comptabilité, de la gestion bancaire et de la rémunération, Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC). Les ministères sont tenus de recouvrir intégralement les sommes dues avec les premiers fonds disponibles de l'employé.

290 000 fonctionnaires

Le vieux système de paye fédéral renaîtra enfin de ses cendres mercredi lors de la première phase d'implantation du système Phénix. À partir du 24 février, les payes de 120 000 employés fédéraux de 34 ministères seront traitées à partir du centre de service de Miramichi, au Nouveau-Brunswick. Deux mois plus tard, le 21 avril, le système Phénix sera ensuite déployé dans les 67 autres ministères du gouvernement. Ainsi, le 4 mai prochain, les quelque 290 000 fonctionnaires fédéraux recevront une paye qui aura été traitée par un système automatisé.

Modernité

Finis les « écrans verts » et les « codes » dépassés d'un système anachronique, Phénix devrait faire rentrer le système de paye de la fonction publique fédérale dans le monde moderne. « Le nouveau système de paye automatise et permet un libre-service. Donc, les gestionnaires et les employés vont pouvoir rentrer leurs données et on va pouvoir les lire immédiatement pour faire les changements sur les prochains chèques de paye. Ça va permettre une meilleure rapidité des paiements », explique Brigitte Fortin. Ainsi, les erreurs de salaires devraient être évitées « tant et aussi longtemps que les entrées de données sont effectuées à temps par les employés et les gestionnaires ».

77 mois

Ce projet de 300 millions avait été lancé par le gouvernement Harper à l'été 2010 en vue d'une implantation complète en 2016-2017. L'initiative n'était pas un luxe : quelques mois plus tôt, la vérificatrice générale du Canada Sheila Fraser écrivait dans son rapport annuel que « les systèmes de paye et de pensions menaçaient de s'effondrer », selon un rapport gouvernemental de 2008. « Le budget a été respecté. On a pris 77 mois à compléter le projet et au départ, on en prévoyait 75 mois. C'est quand même raisonnable », souligne la haute fonctionnaire Brigitte Fortin. Le gouvernement prévoit économiser environ 70 millions par année une fois le système bien en selle.

« Bonne décision »

L'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), qui représente 170 000 travailleurs, dont une majorité de fonctionnaires fédéraux, se réjouit que le gouvernement ait accepté de repousser l'implantation du système Phénix initialement prévue en octobre dernier. « Le ministère a écouté nos demandes et a pris la bonne décision. [...] Nous constatons maintenant que plusieurs problèmes que nous avions soulevés ont été résolus. Nous pensons que ça devrait bien fonctionner », soutient Chris Aylward, vice-président exécutif national de l'AFPC. La Presse rapportait au printemps dernier que de sérieux problèmes de formation chez les employés du Centre des services de paye de Miramichi avaient causé de nombreuses erreurs de paye partout au pays. Le syndicat n'a pas voulu se prononcer au sujet des millions de dollars versés en trop aux fonctionnaires par erreur.

- Avec William Leclerc, La Presse