Le premier ministre Justin Trudeau n'est pas prêt à prendre le téléphone pour réclamer personnellement auprès des autorités saoudiennes la libération du blogueur Raïf Badawi.

«Ce n'est pas dans mes plans immédiats», a laissé tomber le premier ministre libéral dans le cadre d'une entrevue de fin d'année accordée au bureau parlementaire de La Presse Canadienne, mercredi.

Pourtant, à l'époque où les libéraux étaient dans les banquettes de l'opposition, leurs députés exhortaient l'ancien premier ministre Stephen Harper à appeler Ryad afin de faire pression directement auprès du roi d'Arabie saoudite.

«Le premier ministre (Harper) va-t-il intercéder lui-même directement auprès du nouveau roi saoudien, comme l'en prie l'épouse de M. Badawi?», demandait Stéphane Dion en Chambre le 26 janvier dernier.

C'est à M. Dion, qui a hérité du poste de ministre des Affaires étrangères, que M. Trudeau dit avoir confié le mandat de faire progresser le dossier du blogueur condamné à 1000 coups de fouet et dix ans d'emprisonnement pour avoir prôné la libéralisation du régime saoudien.

Le diplomate en chef du Canada s'est entretenu jeudi avec son homologue saoudien, Adel Al-Joubeir. Dans un compte rendu de cette rencontre, Stéphane Dion déclare avoir «signalé que le gouvernement espère la clémence» dans le cas de M. Badawi.

Le blogueur n'est pas un citoyen canadien, mais comme son épouse, Ensaf Haidar, s'est réfugiée au Québec avec leurs trois enfants, cela donne un «certain lien» sur lequel Ottawa peut se baser pour «faire pression» sur le gouvernement saoudien, a indiqué M. Trudeau.

«J'ai pu rencontrer la femme de M. Badawi l'année passée et je lui ai dit très clairement que le Parti libéral allait continuer de mettre de la pression sur l'Arabie saoudite pour encourager sa libération», a-t-il soutenu au fil d'une entrevue qui a duré plus d'une heure.

Mme Haidar a interpellé Justin Trudeau peu après que les troupes libérales eurent été portées au pouvoir. Elle a imploré le nouveau premier ministre de parler «directement» avec le gouvernement saoudien pour lui demander de gracier son époux.

La députée Hélène Laverdière, du Nouveau Parti démocratique (NPD), trouve «étrange» que M. Trudeau n'ait pas décidé de prendre les choses en main personnellement «parce que dans l'opposition, les libéraux disaient qu'il fallait que M. Harper s'occupe du dossier».

Elle dit espérer que les libéraux «vont être à la fois plus fermes, et peut-être plus habiles» que les conservateurs dans leur manière d'intervenir auprès des autorités saoudiennes, parce que «ça fait vraiment trop longtemps que ça dure», a-t-elle dit en entrevue téléphonique.

L'organisation Amnistie internationale, qui se bat aux côtés d'Ensaf Haidar depuis des mois, continue de croire en la «bonne volonté» du gouvernement en place depuis le 4 novembre et veut ainsi «laisser la chance au coureur», a expliqué sa porte-parole Anne Sainte-Marie.

«Par contre, si on ne voit pas de mouvement, on va penser que leur passage de l'opposition au gouvernement leur a fait perdre cette bonne volonté et nous allons hausser le ton», a-t-elle prévenu.

Le Parlement de l'Union européenne a décerné le prix Sakharov 2015 à Raïf Badawi. Son épouse est allée cueillir mercredi à Strasbourg, en France, la prestigieuse récompense remise aux personnes ayant apporté une contribution exceptionnelle à la lutte pour les droits de l'homme dans le monde.

La semaine passée, Mme Haidar a affirmé que son mari a entamé une grève de la faim après avoir été transféré de prison. Amnistie internationale dit n'être pas en mesure de confirmer ces informations pour le moment.