Le premier ministre Justin Trudeau affronte vendredi au Parlement la réalité de la politique intérieure, après un mois consacré principalement à une tournée internationale illustrant le retour de la diplomatie canadienne avec, à Paris, la promesse d'agir contre le changement climatique.

C'est dans son discours du trône, véritable discours de politique générale, qui sera lu par le gouverneur général devant les députés et les sénateurs, que Justin Trudeau va mettre en musique ses promesses électorales avec l'immédiate gestion délicate de l'accueil de réfugiés syriens et l'arrêt des frappes contre le groupe État islamique alors que la coalition internationale les intensifie.

Jusqu'ici, au fil des sommets en Turquie, aux Philippines, à Malte ou à Paris, le jeune premier ministre a déchaîné la curiosité et l'élan populaire en se prêtant de bonne grâce, auprès du public et des médias, aux exigences de l'enthousiasme soulevé par son élection, sans hésiter à mettre en scène femme et enfants.

Même la reine Elizabeth II s'est amusée de le recevoir après l'avoir accueilli enfant avec son père Pierre Elliot Trudeau alors premier ministre.

La gestion des affaires intérieures reprend donc ses droits pour Justin Trudeau fort d'une bonne cote de confiance. «De façon générale, le gouvernement libéral a connu un bon départ (...) mais évidemment le plus difficile reste à faire», confie à l'AFP Thomas Juneau, professeur à l'Université d'Ottawa.

En campagne électorale, M. Trudeau s'est engagé à augmenter les impôts des plus riches, à baisser ceux de la classe moyenne et à doubler les investissements dans les infrastructures pour stimuler la croissance économique au risque de creuser le déficit budgétaire.

De façon plus urgente, outre son engagement remarqué à la conférence sur le climat à Paris, M. Trudeau avait promis d'accueillir 25 000 réfugiés syriens d'ici le 31 décembre.

Mais son gouvernement est déjà revenu sur cette promesse, véritable casse-tête logistique, mais sans la renier sur le fond. Ce sera finalement 10 000 réfugiés que le Canada accueillera d'ici la fin de l'année, a rectifié le gouvernement, et les 15 000 autres arriveront d'ici fin février.

Beaucoup de promesses 

«Sceptique, l'opinion va probablement lui pardonner compte tenu des préoccupations plus grandes pour la sécurité après les attentats de Paris», selon Peter Loewen, professeur de sciences politiques à l'université de Toronto.

«Le défi des libéraux, c'est qu'ils ont fait beaucoup de promesses, et les tenir sera difficile, avec une situation économique pas aussi rose qu'ils l'espéraient», a-t-il dit à l'AFP.

L'arrêt des frappes canadiennes en Irak et en Syrie, pour se concentrer sur la formation des soldats irakiens ou aux miliciens qui combattent l'EI au sol, se révèle aussi être difficile à orchestrer. Cette mission aérienne avait été autorisée par le précédent Parlement jusqu'au 30 mars 2016, et M. Trudeau a promis d'y mettre un terme, sans s'avancer sur une date.

M. Juneau juge «plausible» que le premier ministre attende finalement la date limite pour retirer les six chasseurs F18, tout en laissant au service de la coalition les deux avions de surveillance et celui de ravitaillement en vol. Et «on va probablement voir une augmentation de l'effort canadien au niveau de la formation, non seulement des Kurdes irakiens mais aussi des troupes du gouvernement à Bagdad».

Sur le climat, M. Trudeau s'est présenté à la conférence de l'ONU sur le climat de Paris (COP21) avec des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre, fixées par le précédent gouvernement conservateur, même s'il les juge insuffisantes.

Le premier ministre promet d'établir de «nouveaux objectifs ambitieux» avec les provinces dans les 90 jours suivant la COP21, mais la tâche, selon M. Loewen, s'annonce «difficile». Car le gouvernement fédéral n'a aucun pouvoir sur l'exploitation du pétrole dans les provinces qui en possèdent et qui ne sont pas prêtes à s'en passer pour assurer leur développement économique.

À ce compte, M. Trudeau pourrait manquer de temps pour concrétiser d'autres promesses audacieuses, comme celles de réformer le mode de scrutin uninominal à un tour ou de légaliser le cannabis.