Alors que les libéraux de Justin Trudeau s'activent pour assurer leur transition vers le pouvoir, les firmes de lobbyistes, qui ont passé les 10 dernières années à promouvoir les intérêts de leurs clients auprès des conservateurs de Stephen Harper, opèrent leur propre transition avec ce premier changement de gouvernement en une décennie.

Démarches auprès de nouveaux clients, étude de la plateforme libérale, mouvements de personnel et lecture de dizaines de CV : les firmes de relations gouvernementales d'Ottawa apportent les changements de dernière minute à leur équipe et à leur stratégie pour être fin prêtes à courtiser la nouvelle équipe libérale dès qu'elle sera assermentée, mercredi prochain.

C'est notamment le cas de la firme Le Groupe parlementaire, qui a expédié un courriel à des clients potentiels au cours des derniers jours, dont La Presse a obtenu copie : « Le retour du Parti libéral au pouvoir à Ottawa confirme qu'un changement de priorités industrielles et économiques aura un impact sur vos enjeux auprès du fédéral », y écrit Patrick Gagnon, associé principal de l'entreprise et ancien député libéral à la Chambre des communes.

« Notre relation privilégiée pourrait vous positionner favorablement auprès de nos anciens collègues qui occuperont désormais les postes clefs du gouvernement Trudeau, tant du côté politique que de la fonction publique », ajoute Patrick Gagnon dans ce courriel.

Le Groupe parlementaire compte au sein de son équipe d'autres anciens députés libéraux tels que John Nunziata de même que d'ex-hauts fonctionnaires et d'anciens députés d'autres partis, tels que Val Meredith (Alliance canadienne) et Lorne Nystrom (NPD). Ses services incluent le lobbyisme auprès d'élus, les conseils pour l'obtention de contrats du gouvernement et les relations avec les médias.

En hausse, en baisse

Comme Le Groupe parlementaire, la plupart des firmes de la capitale fédérale comptent sur des employés issus de tous les partis et de la fonction publique pour être prêtes à toute éventualité et se ménager des accès dans tous les camps. Mais l'accès aux plus hautes sphères du pouvoir peut évidemment valoir son pesant d'or aux yeux de clients soucieux que leur point de vue soit entendu.

Plusieurs spécialistes des relations gouvernementales aux allégeances libérales pourraient ainsi voir leur cote monter à Ottawa dans la foulée des élections du 19 octobre. C'est le cas par exemple de Louis-Alexandre Lanthier de Summa Strategies, qui était l'ombre de Justin Trudeau jusqu'à ce qu'il décide de travailler dans le secteur privé plusieurs mois avant les élections. Rob Silver, le conjoint de Katie Telford (pressentie pour devenir la chef de cabinet du nouveau premier ministre), est un autre exemple. Même chose pour la firme Bluesky Strategy Group, dont les cofondateurs Susan Smith et Tim Barber ont aussi fondé le groupe de réflexion (think tank) libéral Canada 2020.

Ces lobbyistes devront toutefois agir avec prudence, d'autant plus que l'incident survenu avec Dan Gagnier demeure frais dans la mémoire de plusieurs Canadiens et même de libéraux qui se sont dits frustrés par son geste. Ce proche conseiller de M. Trudeau et ancien chef de cabinet de Jean Charest a dû démissionner quelques jours avant les élections, car il avait envoyé un courriel à la compagnie TransCanada pour la conseiller sur le meilleur moyen d'exercer son influence auprès du prochain gouvernement au sujet de son projet controversé de pipeline Énergie Est.

« L'offre excède la demande »

Plusieurs firmes gardent donc les yeux ouverts, à la recherche de la perle rare qui pourrait compléter leur équipe en cette période de transition. Certains s'attendent à des mouvements de personnel au sein de la communauté somme toute restreinte des relations gouvernementales de la capitale.

Mais ces mouvements pourraient s'avérer limités, estime Nicolas Ruszkowski, directeur général de FleishmanHillard à Ottawa. Cet ancien directeur des communications de Stéphane Dion reçoit ces jours-ci plusieurs CV d'adjoints qui ont perdu leur emploi au gouvernement ou au Parlement, ou de militants libéraux qui veulent offrir leurs services. « La transition provoque un nombre de candidatures beaucoup plus élevé que la moyenne, dit-il. Mais l'offre excède actuellement la demande. »

Pour l'instant, tous ces préparatifs ne transparaissent pas au Registre des lobbyistes : on y compte seulement 95 enregistrements depuis le 19 octobre, comparativement à 130 pour la même période l'an dernier. Mais ce pourrait être le calme avant la tempête : selon des lobbyistes, dont Patrick Gagnon du Groupe parlementaire, on pourrait bien assister à une avalanche d'activités une fois la transition terminée et la saison politique bel et bien lancée.