L'ordre du jour législatif très chargé de Justin Trudeau au cours des mois qui viennent risque de se heurter à la résistance des sénateurs conservateurs, majoritaires à la chambre haute, qui n'ont pas du tout l'intention de se laisser bousculer par le nouveau gouvernement libéral.

Les sénateurs conservateurs, majoritaires tant que le premier ministre libéral n'aura pas comblé les sièges vacants, pourraient ainsi bloquer ou retarder l'adoption d'importants projets de loi, ou même privilégier d'abord l'étude de leurs propres projets de loi d'initiative parlementaire. C'est d'ailleurs ce qu'avaient fait les libéraux après l'arrivée au pouvoir de Stephen Harper en 2006: les conservateurs avaient dû négocier régulièrement avec les libéraux, majoritaires au Sénat, afin de pouvoir faire adopter leurs projets de loi.

«Nous allons les traiter exactement comme ils nous ont traités», a prévenu un sénateur conservateur - sous le couvert de l'anonymat, puisque la stratégie du caucus n'a pas encore été adoptée. Ces négociations seront polies, a-t-il prédit, mais les conservateurs n'ont pas l'intention d'accorder leur appui sans résister.

Un sénateur libéral a comparé cet affrontement perpétuel à une guérilla: les conservateurs vont choisir les cibles les plus rentables politiquement, mais éviteront la guerre ouverte, pour ne pas entacher la réputation du Sénat, déjà pas très reluisante. Un autre sénateur conservateur croit d'ailleurs que si le Sénat se transforme en foire d'empoigne, les Canadiens concluront qu'il s'agit bel et bien d'une institution bassement partisane, qui n'est aucunement intéressée à jouer son rôle de «chambre des sages».

26 sièges vacants d'ici un an

Il y a actuellement 22 sièges vacants sur 105 au Sénat, puisque le premier ministre Harper, partisan d'une réforme de la chambre haute - voire de son abolition -, refusait de combler les départs depuis quelques années. En février prochain, un autre siège se libèrera avec le départ à la retraite obligatoire, à 75 ans, du sénateur conservateur Irving Gerstein, grand collecteur de fonds du parti.

Et d'ici la fin de 2016, les sénateurs Michel Rivard (conservateur), Céline Hervieux-Payette et David Smith (libéraux) atteindront aussi l'âge vénérable. Il y aura alors 26 sièges vacants au Sénat, et si M. Trudeau nommait autant de sénateurs de «mouvance libérale», son parti serait alors assuré d'une majorité à la chambre haute.

Dans une tentative de réformer le Sénat, M. Trudeau a promis de créer un comité consultatif chargé de formuler des recommandations sur les nominations, afin de rendre la chambre haute moins partisane. En conférence de presse, plus tôt cette semaine, le premier ministre désigné n'a pas avancé d'échéancier pour la mise en place de cette mesure. Il n'a pas non plus élaboré sur la stratégie qu'il souhaite mettre en place pour faciliter l'adoption de ses projets de loi au Sénat.

Les sénateurs libéraux, chassés du caucus l'an dernier, se demandent quant à eux quel rôle le premier ministre Trudeau leur fera maintenant jouer... et s'ils devront déménager ou non de l'autre côté de l'édifice du Centre, comme le feront les députés libéraux, désormais au gouvernement.