L'ancien chef de cabinet du premier ministre Stephen Harper, Nigel Wright, a affirmé lors de son témoignage très attendu hier qu'il n'avait pas informé son patron du plan de rembourser discrètement Mike Duffy après qu'il eut lui-même remboursé le Sénat pour ses frais de subsistance réclamés en trop.

Lors de sa première journée à la barre des témoins, M. Wright a expliqué les circonstances entourant le fameux courriel du 22 février 2013, dans lequel il a écrit à des subalternes que le premier ministre Harper avait donné son aval au plan de remboursement («We're good to go from the PM»).

Stephen Harper a toujours maintenu qu'il n'était pas au courant à l'époque du fait que l'entente conclue entre certains de ses employés et le sénateur Duffy prévoyait que ce dernier rembourserait le Sénat pour les frais de subsistance réclamés en trop, mais qu'il se ferait en retour rembourser par le Parti conservateur ou par Nigel Wright.

M. Wright a expliqué qu'il souhaitait plutôt faire approuver par le premier ministre les lignes de presse pour expliquer au public la décision du sénateur dans ce dossier déjà controversé. Il voulait aussi s'assurer qu'en mettant ainsi de la pression sur un membre du caucus pour qu'il rembourse les contribuables, alors qu'il plaidait son innocence, il n'établisse pas de dangereux précédent.

«Avez-vous fait part au premier ministre du fait que l'entente prévoyait que c'est le parti qui ferait le paiement?», lui a demandé le procureur de la Couronne, Jason Neubauer.

«Non, a répondu Nigel Wright. Je n'impliquais jamais le premier ministre [...] quant à savoir si le Fonds [conservateur] couvrirait ou non les honoraires judiciaires de membres du caucus ou de ministres dans différentes situations. Ce n'étaient jamais des conversations ou des décisions dans lesquelles nous impliquions le premier ministre.»

Refus du parti

La somme due par le sénateur suspendu est passée par la suite de 32 000 à 90 000$, et le grand argentier du Parti conservateur, Irving Gerstein, a refusé de la payer. M. Wright a alors décidé de prendre la somme dans son propre compte de banque. Il a expliqué qu'il jugeait «inappropriées» les demandes de remboursement de dizaines de milliers de dollars présentées par M. Duffy au Sénat sur la base que sa résidence d'Ottawa était sa résidence principale. M. Duffy, un journaliste parlementaire jusqu'à sa nomination à la Chambre haute en 2008, habitait Ottawa depuis des décennies.

«Le sénateur s'était engagé à suivre un processus et j'avais l'obligation de respecter mes obligations», a ajouté cet avocat de formation devant le juge Charles Vaillancourt au palais de justice d'Ottawa.

Le témoin, qui est indépendant de fortune, a précisé qu'il lui arrivait fréquemment de débourser des sommes considérables au gouvernement sans se faire rembourser par les contribuables, pour organiser des événements avec ses employés, par exemple. Il a reconnu que la somme était importante, mais que ce paiement n'allait pas toucher son patrimoine de manière significative.

À l'époque, M. Duffy maintenait dans les coulisses qu'il n'avait rien à se reprocher puisque les règles n'étaient pas assez claires, a relaté M. Wright hier. Il résistait aux pressions pour qu'il remette l'argent réclamé prétendument à tort. Il a même tenté de convaincre le premier ministre au terme d'une réunion du caucus conservateur le 14 février 2013. Mais ce denier s'est rangé aux arguments de son chef de cabinet et lui a ordonné de rembourser les contribuables.

31 chefs d'accusation

Mike Duffy fait face à 31 chefs d'accusation de fraude et de corruption en lien avec ces réclamations de frais de subsistance et l'utilisation de son budget de bureau pour des dépenses non reliées à ses activités parlementaires. Il est aussi accusé de corruption d'un fonctionnaire et de fraude envers le gouvernement pour avoir accepté le chèque de 90 000$ du chef de cabinet du premier ministre. Il a plaidé non coupable à toutes ces accusations.

L'interrogatoire de la Couronne doit se terminer demain matin. Il sera suivi du contre-interrogatoire par Donald Bayne, l'avocat de l'accusé. Ce contre-interrogatoire pourrait durer plusieurs jours: Me Bayne a eu jusqu'ici l'habitude de s'attarder aux moindres détails du dossier.