Le premier ministre canadien a annoncé cette semaine que le Canada enverrait dès l'été prochain 200 militaires en Ukraine pour former les forces armées ukrainiennes qui combattent les rebelles prorusses dans l'est du pays. La nouvelle jette un nouveau froid sur les relations canado-russes, déjà au-dessous du point de congélation.

«Déplorable.» «Contre-productif.» «Une décision qui ne favorise en rien la résolution du conflit fratricide en Ukraine.»

Hier, par le truchement de son ambassade à Ottawa, la Russie a protesté contre la décision du gouvernement Harper d'envoyer 200 militaires canadiens en Ukraine pour prêter main-forte aux forces ukrainiennes qui combattent depuis un an une rébellion soutenue par Moscou dans l'est du pays.

Au dire du gouvernement canadien, qui a annoncé le nouveau déploiement mardi, les 200 militaires qui seront envoyés dans l'ex-République soviétique dès l'été prochain ne seront pas impliqués dans les combats. Au cours des deux prochaines années, ils seront plutôt chargés de former les militaires ukrainiens, notamment à l'art du déminage et du maniement d'explosifs.

En conférence de presse, le ministre de la Défense Jason Kenney a affirmé que le Canada voulait être actif en Ukraine de l'Ouest, maximisant du coup la distance entre les militaires canadiens déployés et la zone de conflit et minimisant les risques que ces derniers soient impliqués dans une confrontation armée avec les rebelles prorusses. 

Les formateurs canadiens travailleront pour la plupart dans deux bases militaires qui sont à plus de 1000 km de la ligne de front.

Rapports sibériens

Ces précisions n'ont pas rassuré la Russie, qui s'oppose à la présence de l'OTAN et de ses membres en Ukraine. «Ce n'est ni approprié ni utile de participer à l'escalade militaire, jouant le jeu du "parti de la guerre de Kiev"», peut-on lire dans le communiqué de l'ambassade de Russie. La Presse a tenté en vain hier de joindre les diplomates russes en poste à Ottawa.

Le Canada considère pour sa part que Moscou est responsable de la violence en Ukraine, qui, à ce jour, a fait 6000 morts.

Longue dégringolade

Les relations canado-russes s'enveniment depuis l'annexion de la Crimée par la Russie l'an dernier, annexion qui a été suivie un mois plus tard par le début du conflit dans l'est de l'Ukraine.

À maintes reprises, le gouvernement canadien a affirmé qu'il ne reconnaîtrait jamais le nouveau statut de la Crimée.

Emboîtant le pas aux États-Unis et à l'Europe, le Canada a imposé des sanctions à la Russie et accepté de déployer un navire de guerre, le HMCS Fredericton dans la Méditerranée, dans le cadre de l'opération Reassurance, qui a pour but de rassurer les alliés de l'OTAN qui craignent de plus grandes incursions militaires de la Russie en Europe. Le gouvernement Harper a aussi promis 578 millions en aide à Kiev.

On se rappellera qu'en novembre dernier, le premier ministre a fait un geste remarqué sur la scène internationale. Lors d'un sommet du G20 à Brisbane, Stephen Harper a tendu une main glaciale au président russe, Vladimir Poutine. «Je vais vous serrer la main, mais je n'ai qu'une chose à vous dire: "Vous devez quitter l'Ukraine"», a-t-il dit au président russe, qui a plus tard pris la décision de rentrer à Moscou avant la fin du sommet.

Geste électoral

Selon les experts, la récente décision du gouvernement conservateur de renforcer son aide militaire en Ukraine est d'abord et avant tout un geste politique.

«L'Ukraine n'est pas un pays du tiers-monde et peut très bien entraîner son armée, note Jocelyn Coulon, directeur du Réseau de recherche sur les opérations de paix. Toutefois, compte tenu de l'état de délabrement du pays et du conflit avec la Russie, toute aide est bienvenue et celle sur le terrain envoie un signal aux Russes», ajoute-t-il.

Expert de l'ex-URSS à l'Université du Québec à Montréal, Yann Breault y voit pour sa part un calcul électoral. «À court terme, cela permet à l'actuel gouvernement de satisfaire la très nombreuse diaspora ukrainienne au Canada, en prévision des élections à venir, dit le politologue. Près de 1,2 million de citoyens canadiens sont d'origine ukrainienne. Le problème est que cela envoie simultanément un signal belliqueux très fort à la Russie», ajoute M. Breault.

Spécialiste de l'Ukraine, Dominique Arel de l'Université d'Ottawa note que le geste politique des conservateurs est bien calculé. «En politique intérieure canadienne, hormis quelques inquiétudes exprimées par le Nouveau Parti démocratique, particulièrement sur le fait qu'aucun débat parlementaire n'a précédé cette annonce, la question ukrainienne continue de rallier tous les partis.»