Le choc a été dur à encaisser. Certains en gardent encore un goût amer, ayant l'impression d'avoir été jetés par-dessus bord d'un autobus roulant à vive allure sur l'autoroute. D'autres ont plutôt choisi de profiter de l'occasion pour changer à leur manière une institution incomprise et mal-aimée.

Il y a un an, le chef du Parti libéral du Canada Justin Trudeau causait une commotion à Ottawa en expulsant de son caucus libéral les 32 sénateurs libéraux. Cette décision, appuyée quelques semaines plus tard par les militants libéraux lors d'un congrès national à Montréal, a été prise sans consulter les principaux intéressés.

Justin Trudeau a justifié cette décision, annoncée alors que le scandale des dépenses au Sénat battait son plein, en affirmant que la Chambre haute était devenue une institution marquée par «le favoritisme et la partisanerie extrême».

«La seule façon de faire partie du caucus libéral est d'avoir été élu par la population», avait-il notamment fait valoir le 29 janvier 2014.

M. Trudeau s'était alors aussi engagé à modifier la manière dont les sénateurs sont nommés au Sénat, s'il est élu premier ministre à la prochaine élection. Les nouveaux sénateurs seraient tous indépendants et choisis par un comité de sages au terme d'une démarche ouverte et transparente.

À l'instar de ses collègues, le leader de l'opposition officielle au Sénat, James Cowan, était stupéfait de la décision de Justin Trudeau. Mais 12 mois plus tard, il estime qu'il a pris la bonne décision.

«Les 12 derniers mois ont certainement été une aventure intéressante. Cette décision nous a tous pris par surprise. Mais je crois que la plupart d'entre nous sommes satisfaits de ce qui s'est passé et de ce que nous avons réussi à faire depuis», a affirmé M. Cowan dans une entrevue accordée à La Presse.

L'expérience est assez concluante pour qu'il croie que le premier ministre Stephen Harper devrait imiter le chef libéral en coupant tous les liens avec les sénateurs conservateurs au Sénat. Le Sénat deviendrait du coup une institution véritablement indépendante de l'influence du bureau du premier ministre, selon lui.

Depuis leur expulsion, les sénateurs ont tenté d'utiliser leur nouvelle indépendance pour réformer de l'intérieur une institution qui en a bien besoin.

Un forum ouvert à tous

À titre d'exemple, les sénateurs «libéraux indépendants» ont décidé d'inviter les Canadiens ordinaires à leur soumettre des questions qu'ils souhaiteraient poser aux représentants du gouvernement au Sénat.

Les résultats sont encourageants. Plusieurs ont envoyé des questions en utilisant le site internet mis à leur disposition (forumdessenateursliberaux.ca) depuis mars 2014. La toute première question a été soumise par Sterling Mancuso, un élève de neuvième année de Newmarket, en Ontario, et portait sur la protection du droit d'auteur. Les autres questions des citoyens ordinaires ont porté sur des sujets aussi divers que l'éducation des Premières Nations, la prostitution, les effets de la cigarette électronique, les compressions dans la recherche scientifique ou encore les suicides au sein des Forces armées.

Quand une question est retenue, le sénateur prend le soin d'identifier l'auteur lorsqu'il se lève au Sénat pour la poser. Une fois qu'elle a été posée, l'auteur est avisé et la transcription de la réponse du gouvernement lui est envoyée par courriel. Cette nouvelle façon de faire a quelque peu désarçonné le gouvernement, qui ne peut plus se contenter de répondre des platitudes, selon M. Cowan.

«Nous avons trouvé une façon originale de donner une plus grande voix au peuple. Si les gens ont des questions à poser au gouvernement, ils n'ont qu'à nous les faire parvenir», a affirmé M. Cowan.

Les sénateurs libéraux indépendants ont aussi organisé des audiences publiques sur une kyrielle de sujets importants tels que les changements climatiques, les services offerts aux anciens combattants, la création d'emplois, la prostitution, et la disparition et l'assassinat de femmes autochtones, entre autres.

«Avec le recul, il faut dire que Justin Trudeau a pris la bonne décision», a dit M. Cowan.