Le gouvernement Harper compte aujourd'hui plus d'alliés que jamais au Congrès américain dans sa croisade pour la construction de l'oléoduc Keystone XL, ce projet controversé qui permettrait d'acheminer le pétrole issu des sables bitumineux de l'Alberta jusqu'aux raffineries du Texas.

Les républicains détiennent maintenant la majorité au Sénat et à la Chambre des représentants. Ils ont fait de l'autorisation du projet Keystone XL leur priorité au premier jour de la nouvelle session, hier.

Mais l'acteur le plus important dans ce dossier pour le gouvernement Harper demeure le président Barack Obama lui-même. Or, malgré les millions investis par le gouvernement canadien pour faire la promotion de ce projet à Washington, malgré les nombreuses visites de ministres influents dans la capitale américaine et à New York pour défendre ce projet, le président américain demeure sceptique.

Pour son administration, les retombées économiques d'un tel projet, évalué à environ 8 milliards de dollars, seront minimes. Les consommateurs américains n'en sortiront pas forcément gagnants non plus. Le prix de l'essence est d'ailleurs déjà fortement à la baisse depuis quelques semaines (il était à peine de 1,98$US le gallon à certains endroits lors de mon passage en Géorgie en fin de semaine, soit environ 62¢CAN le litre). Les automobilistes sont loin de rager en faisant le plein. Mais l'impact environnemental de ce projet, lui, risque d'être important.

Pas étonnant, donc, que le président américain, par la voix de son porte-parole Josh Earnest, ait brandi à nouveau hier la menace d'utiliser son veto contre toute loi adoptée par le Congrès américain autorisant la construction de l'oléoduc.

Relations empoisonnées

De toute évidence, le dossier Keystone XL continue d'empoisonner les relations entre Stephen Harper et Barack Obama. Le premier ministre a-t-il contribué à cimenter l'opposition de son homologue américain en affirmant, durant une visite à New York, que l'approbation de ce projet était pour lui un «no-brainer» et qu'il n'accepterait jamais un «non» du président comme réponse? Sans doute. Mais le bilan mitigé de son gouvernement en matière de lutte contre les changements climatiques a probablement aussi été un facteur tout aussi important.

Au cours des dernières semaines, Barack Obama a d'ailleurs durci le ton, en particulier depuis que les élections de mi-mandat au Congrès sont chose du passé. Si, au départ, il mettait en doute le nombre d'emplois que créerait la construction de l'oléoduc aux États-Unis, il soutient maintenant que ce projet servirait d'abord et avant tout les intérêts de l'industrie pétrolière de l'Alberta.

«C'est un très bon projet pour les pétrolières canadiennes et c'est bon pour l'industrie pétrolière du Canada, mais cela ne va pas beaucoup profiter aux consommateurs américains», a-t-il lancé aux journalistes durant le dernier sommet du G20 qui s'est tenu en Australie, en novembre. «Cela donne l'occasion au Canada d'exploiter son pétrole, d'utiliser nos terres pour l'acheminer jusqu'au golfe du Mexique pour être vendu ailleurs dans le monde. Cela n'a pas d'impact sur le prix de l'essence aux États-Unis.»

À Ottawa, plusieurs conservateurs ont conclu que Keystone XL verra le jour seulement lorsque Barack Obama aura quitté la Maison-Blanche, dans deux ans. Cela explique leur empressement à courtiser les ténors républicains qui pourraient être dans la course à la présidence, notamment le gouverneur du New Jersey, Chris Christie. Ce dernier a effectué en décembre une visite à Calgary, où il a rencontré le premier ministre de l'Alberta Jim Prentice, et a fait un arrêt à Ottawa, où il a eu un tête-à-tête avec Stephen Harper. Durant cette visite, M. Christie s'est prononcé pour Keystone XL.

Mais avant de songer trop longuement au prochain locataire de la Maison-Blanche, Stephen Harper devra solliciter un quatrième mandat des Canadiens en octobre. Dans l'intervalle, il aurait peut-être intérêt à prêter une oreille plus attentive aux récentes suggestions de Preston Manning, l'elder statesman du mouvement conservateur au pays, qui presse le gouvernement Harper de faire preuve de plus d'audace en matière de protection de l'environnement.

Le feuilleton Keystone XL en cinq points

830 000 barils par jour

L'oléoduc Keystone XL parcourrait près de 2000 km entre Hardisty, en Alberta, et Steele City, au Nebraska. D'un diamètre de 36 pouces, il acheminerait jusqu'à 830 000 barils par jour de brut de l'Alberta et du Dakota-du-Nord jusqu'au Midwest américain et au golfe du Mexique, où il pourrait être raffiné ou exporté.

Lancement en 2008

Le feuilleton de Keystone XL dure depuis plusieurs années. Une première demande de permis a été présentée par TransCanada aux autorités américaines en 2008. Après son rejet par le président en 2012, une deuxième a été soumise. L'administration Obama veut attendre l'issue d'un recours constitutionnel au Nebraska avant de se prononcer.

Ce que disent les opposants

Les préoccupations à l'égard du projet sont nombreuses, notamment un potentiel de création d'emplois moins élevé que représenté; des risques de déversement sérieux; et un coup de pouce aux sables bitumineux canadiens... Le président Barack Obama a lui-même repris certaines de ces critiques à son compte, récemment.

La recherche de débouchés

L'industrie pétrolière de l'Ouest canadien et le gouvernement Harper ont fait de la construction de pipelines une priorité. La situation géographique de l'Alberta, entre autres régions productrices, la prive de débouchés vers des marchés d'exportation. Ottawa voit la situation comme un obstacle important à la croissance de l'économie canadienne.

L'impact sur Énergie Est

Les déclarations de la Maison-Blanche, hier, devraient avoir peu d'impact sur le projet Énergie Est. Cet oléoduc de 4600 km de TransCanada transporterait environ 1,1 million de barils de brut de l'Alberta et de la Saskatchewan vers des ports de l'est du Canada. Elles pourraient cependant donner des munitions à ses nombreux opposants: «Dire qu'un pipeline qui n'est pas assez bon pour les États-Unis est assez bon pour le Québec sera un argument difficile à présenter», croit Keith Stewart, porte-parole de Greenpeace Canada.