L'ex-gouverneure générale du Canada Michaëlle Jean multiplie les voyages aux frais de l'État dans l'espoir de décrocher le poste de secrétaire générale de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Ottawa, qui assume la part du lion des dépenses découlant de la campagne de Mme Jean, selon des renseignements transmis cette semaine à La Presse, a payé environ 35 000$ en frais de déplacement pour la candidate depuis l'annonce de son appui officiel, en juin.

Ces frais - une fraction du soutien matériel et humain apporté par le gouvernement fédéral - devraient croître sensiblement dans les semaines qui viennent, alors que s'amorce le dernier sprint diplomatique avant la tenue, à la fin du mois de novembre à Dakar, du Sommet de la Francophonie.

C'est à cette occasion que sera désigné le remplaçant du dirigeant sortant de l'OIF, l'ex-président sénégalais Abdou Diouf. Cinq personnes se disputent le titre, dont Mme Jean, qui affirme avoir visité une vingtaine de pays dans les derniers mois.

Ottawa - qui évoque notamment la «solide expérience» internationale de la candidate pour expliquer son appui «enthousiaste» à son égard - débourse également les frais de déplacement et la rémunération d'un ancien ambassadeur à la Francophonie, Jacques Bilodeau, qui agit comme conseiller auprès d'elle.

En réponse à une longue série de questions visant à détailler les coûts de sa contribution à la campagne en cours, le ministère fédéral des Affaires étrangères a précisé que M. Bilodeau avait signé un «contrat d'employé occasionnel de 90 jours» à cette fin. Sa rémunération n'a pas été précisée.

Mme Jean peut également compter sur l'appui de l'ambassadeur du Canada au Sénégal, Philippe Beaulne, qui fait activement campagne pour elle à titre de représentant personnel du premier ministre Stephen Harper pour la Francophonie.

Le ministère des Affaires étrangères a précisé que M. Beaulne effectuait, à la veille du sommet de Dakar, des visites officielles dans plusieurs pays membres de l'OIF afin d'aborder les «priorités canadiennes» en matière de Francophonie, qui incluent «la candidature de Mme Jean».

L'ambassadeur était également présent à Paris la semaine dernière lors d'un évènement tenu à la Maison de la chimie, où la candidate s'est adressée à un parterre de plus d'une centaine de dignitaires. Le Ministère a précisé que la rencontre avait coûté 6200 euros, soit quelque 8600$, partagés entre l'ambassade du Canada en France et la Délégation générale du Québec à Paris.

Le personnel de la Mission permanente du Canada auprès des Nations unies a aussi été mis à pied d'oeuvre lors du passage de Mme Jean il y a quelques semaines au sommet annuel de l'organisation, à New York. L'ex-gouverneure générale a alors rencontré une douzaine de chefs d'État et de gouvernement ainsi que plusieurs ministères des Affaires étrangères de pays membres de l'OIF pour «partager sa vision de la Francophonie». Le ministre du Développement international, Christian Paradis, a passé une journée à rencontrer les délégations africaines en compagnie de la candidate.

Selon Ottawa, «aucun personnel supplémentaire n'a été mobilisé pour l'organisation de ces rencontres et celles-ci n'ont entraîné aucun frais particulier».

Le gouvernement québécois, qui appuie aussi officiellement Mme Jean, a indiqué pour sa part qu'il n'assumait «rien du tout» relativement aux frais de voyage de la candidate.

Quelques milliers de dollars ont été investis à ce jour pour soutenir la production de matériel promotionnel de Mme Jean et financer un dîner diplomatique en marge du sommet de New York.

Un porte-parole du ministère des Affaires internationales et de la Francophonie, Martin Brie, a relevé par ailleurs qu'un conseiller aux affaires publiques, Louis Hamann, était libéré à temps plein pour quatre mois pour assister Mme Jean. La dépense salariale résultante est de plus de 25 000$.

M. Brie a indiqué que le conseiller voyageait parfois avec la candidate et que les frais résultants étaient payés par Québec.

L'Université d'Ottawa, enfin, a affirmé qu'elle avait payé près de 4000$ au cours des dernières années pour financer des voyages de Mme Jean, qui est chancelière de l'institution, un poste honorifique sans rémunération. Une porte-parole a précisé que ces frais étaient antérieurs au lancement officiel de la campagne de l'ex-gouverneure générale et s'appliquaient à un voyage au cours duquel Mme Jean agissait comme chancelière.

L'ex-gouverneure générale, qui est aussi envoyée spéciale de l'UNESCO en Haïti, n'a pas donné suite à la demande d'entrevue de La Presse relativement aux dépenses publiques liées à sa campagne pour l'OIF.

Son porte-parole, M. Hamann, a indiqué par courriel qu'il n'avait «rien à ajouter» aux informations communiquées par l'université, Québec et Ottawa.

La collaboration entre les gouvernements fédéral et provincial en faveur de Mme Jean est récente, puisque le précédent gouvernement de Pauline Marois refusait de lui accorder son appui, jugeant qu'elle n'avait aucune chance d'être choisie. Le fait qu'elle ait occupé, auparavant, le poste de représentante officielle de la reine britannique au Canada déplaisait aussi aux dirigeants péquistes.

Sprint final

Au cours des dernières semaines, sa campagne est passée en vitesse supérieure, surtout grâce à Ottawa. À Québec, on s'étonne de l'enthousiasme du gouvernement fédéral et des moyens mis à la disposition de l'ancienne occupante de Rideau Hall.

Même l'ambassadeur canadien à Paris, l'ex-ministre conservateur Lawrence Cannon, travaillerait «quasiment à temps complet» pour la candidature de Mme Jean, indique une source bien au fait du dossier à Québec.

L'ampleur de l'effort fédéral pour décrocher la direction de l'OIF s'explique en partie, croit-on du côté québécois, par la crainte d'un échec cuisant sur la scène internationale. En 2010, le Canada avait subi une rude humiliation lorsqu'il avait échoué à obtenir un poste au Conseil de sécurité de l'ONU.