L'ancien premier ministre Jean Chrétien reprend à son compte sans réserve la décision de Justin Trudeau de s'opposer à une participation du Canada aux frappes aériennes en Irak, malgré les critiques de certains libéraux influents comme Lloyd Axworthy et Bob Rae, qui appuient la mission de combat annoncée par le gouvernement Harper il y a 10 jours.

Au lieu de participer à cette mission à haut risque, le Canada devrait plutôt être aux premières lignes de l'aide humanitaire en offrant d'accueillir 50 000 réfugiés qui ont échappé aux griffes du groupe armé État islamique (EI), a soutenu M. Chrétien dans une lettre à La Presse, publiée en page A17.

En outre, le Canada devrait verser 100 millions de dollars au Programme alimentaire mondial afin d'aider à nourrir les centaines de milliers de réfugiés qui feront bientôt face à un hiver rigoureux dans la région, a proposé l'ancien premier ministre.

M. Chrétien avait déjà exprimé ses réserves touchant une participation du Canada à une mission de combat en Irak, alors que le gouvernement Harper envisageait, en septembre, de rallier la coalition internationale réunie par les États-Unis pour contrer la menace de l'EI.

Mais maintenant que le gouvernement conservateur a donné le feu vert à la mission de combat, M. Chrétien a tenu à donner son appui à M. Trudeau, vertement critiqué par certains médias.

M. Chrétien avait refusé de participer à l'invasion de l'Irak en 2003 aux côtés des États-Unis et de la Grande-Bretagne, malgré les vives pressions de l'administration républicaine de l'ancien président George W. Bush.

Encore aujourd'hui, de nombreux Canadiens qu'il rencontre lorsqu'il voyage au pays saluent son courage d'avoir refusé de se laisser entraîner dans ce bourbier, même si à l'époque il faisait aussi l'objet de pressions de la part de certains membres de son parti, des gens d'affaires, d'éditorialistes et du chef de l'opposition officielle de l'époque, Stephen Harper.

«Il n'y a pas de décision plus grave pour un élu que d'envoyer des hommes et des femmes dans des conflits. Les conséquences - à la fois au pays et à l'étranger - sont énormes. Une mauvaise décision, comme d'envahir l'Irak en 2003, peut avoir des résultats désastreux qui se répercutent pendant très longtemps, comme nous l'avons vu. La montée du groupe armé de l'EI est aujourd'hui en grande partie le résultat de cette guerre», écrit M. Chrétien dans sa lettre.

Il a rappelé qu'il avait accepté, lorsqu'il était au pouvoir, que le Canada participe à des missions de combat «multilatérales» au Kosovo et en Afghanistan «parce que nous avions déterminé que c'était la meilleure contribution que le Canada pouvait faire dans ces circonstances très difficiles».

Mais ces missions avaient été menées avec un mandat clair et sous l'égide de l'ONU ou de l'OTAN, ce qui n'est pas le cas de la mission en Irak, a-t-il souligné.

«Nous avons l'obligation de procéder avec la plus grande prudence, et de soupeser toutes les conséquences possibles avant de nous engager dans une mission de combat. Par exemple, tout ce que la guerre en Irak a accompli, c'est de rendre la région et notre monde beaucoup plus dangereux. L'héritage du colonialisme occidental au Moyen-Orient n'a pas été oublié et a été exacerbé par l'intervention militaire occidentale en Irak en 2003, avec les conséquences que nous connaissons aujourd'hui. Malheureusement, M. Harper n'a pas compris l'histoire en 2003 et ne la comprend toujours pas aujourd'hui.», a fait valoir M. Chrétien.

L'ancien premier ministre reconnaît que la situation en Irak et en Syrie est différente de celle de 2003 et qu'il faut mettre fin aux atrocités du groupe armé EI. Mais il croit que la coalition militaire dirigée par les États-Unis doit être principalement composée de pays arabes de la région, avec «une participation minimale» des pays occidentaux.

«Le premier ministre peut penser que si nous ne participons pas à la mission de combat, cela signifie que le Canada se tiendrait à l'écart. Il se trompe complètement. Pour les raisons que j'ai données, je ne crois pas que le Canada devrait participer militairement. Mais je crois, comme M. Trudeau, que le Canada doit être en première ligne pour faire face à la crise humanitaire», a écrit M. Chrétien.

En accueillant quelque 50 000 réfugiés syriens, le Canada pourrait aussi contribuer à soulager la misère humaine qui frappe cette région, comme ce fut le cas lorsque Canada a ouvert ses frontières aux réfugiés de la mer vietnamiens en 1979 et 1980.

Le Canada, terre d'asile

1968: Environ 12 000 réfugiés tchèques sont accueillis au Canada après que l'Union soviétique eut envahi la Tchécoslovaquie.

1972-1973: Près de 6000 Ougandais d'origine asiatique sont conduits au Canada après la décision du président Idi Amin Dada d'expulser du pays tous ceux qui étaient d'origine asiatique.

1979-1980: Après la guerre du Viêtnam, le Canada a accepté plus de 60 000 réfugiés vietnamiens qui ont fui leur pays pour échapper au régime communiste.

1986: Les Nations unies décernent au peuple du Canada le prix Nansen pour les réfugiés pour «la contribution majeure et soutenue du peuple du Canada à la cause des réfugiés».

Mai 1999: La guerre civile entre les Serbes et les Albanais d'origine du Kosovo, force la communauté internationale à intervenir. Le Canada a accueilli quelque 5500 réfugiés kosovars de souche albanaise.

2014: Alors que le groupe armé État islamique sème la terreur en Syrie et en Irak, le Canada propose d'accueillir 1300 réfugiés syriens. Les actes de barbarie de ce groupe ont fait 1,8 million de réfugiés.