Le gouvernement conservateur veut donner aux services d'espionnage plus de pouvoirs afin de contrer aussi à l'étranger les menaces terroristes auxquelles fait face le Canada.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Steven Blaney, a indiqué jeudi que la menace terroriste est devenue «plus complexe et diffuse» depuis l'adoption de la loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), il y a 30 ans, et que le péril ne s'arrête pas aux frontières du pays.

Le Canada, comme d'autres pays occidentaux, craint que certains de ses ressortissants participent à l'étranger aux activités du groupe armé État islamique, et rentrent ensuite au pays avec des intentions malveillantes. Le 8 octobre dernier, le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, Bob Paulson, a indiqué au Parlement que la police fédérale mène 63 enquêtes de sécurité nationale relativement à 90 individus qui ont l'intention de se rendre à l'étranger ou qui sont rentrés au pays.

Un projet de loi pour modifier les pouvoirs du SCRS sera déposé à la reprise des travaux aux Communes, la semaine prochaine, a indiqué jeudi le ministre, de passage à Banff, en Alberta. Ces amendements à la loi mise en vigueur en 1985 sont destinés à clarifier le mandat du service pour «renforcer sa capacité de mener des enquêtes sur les menaces à l'extérieur du Canada», a-t-il dit.

«Ces outils permettront, en fin de compte, au SCRS de mener des enquêtes à l'égard de terroristes potentiels lorsqu'ils voyagent à l'étranger, ce qui signifie que ces personnes feront l'objet d'un suivi, d'une enquête et, finalement, d'une poursuite.»

En vertu de la loi de 1984, le SCRS peut déjà recueillir à l'étranger des renseignements sur des menaces présumées à la sécurité nationale. Le ministre Blaney n'a pas précisé jeudi quels nouveaux pouvoirs il entend donner aux services d'espionnage canadiens, et son personnel politique n'a pas donné plus de détails.

Protection des sources

Le ministre Blaney a par ailleurs indiqué jeudi que le gouvernement profitera de ces modifications à la loi sur le SCRS pour prendre des mesures, comme il l'avait déjà annoncé, afin que le service d'espionnage puisse protéger davantage ses sources d'information. Ces mesures signifieraient ainsi que les avocats de la défense et même les juges ne pourraient plus interroger un informateur du SCRS lors de procédures, comme celles visant la déportation d'un présumé terroriste en vertu d'un certificat de sécurité.

L'avocat d'Ottawa Norm Boxall, qui a défendu le réfugié algérien Mohamed Harkat dans une affaire liée au certificat de sécurité, est «loin d'être convaincu» que le SCRS a vraiment besoin d'un tel outil. «Le fardeau (de demander une telle protection) devrait incomber au SCRS, dans chaque cas», a-t-il estimé.

Son collègue torontois Paul Copeland, qui avait défendu M. Harkat avant lui, est aussi d'avis que ce «privilège générique» garanti par la loi nie le droit de contre-interroger un témoin.

La Cour d'appel fédérale a statué en 2012 que les sources recrutées par le SCRS n'étaient pas couvertes par le même type de protection accordée aux informateurs de la police, par exemple. Cette protection doit être demandée au cas par cas par le SCRS. Et en mai dernier, la Cour suprême, dans un arrêt sur les certificats de sécurité, a estimé que les sources du SCRS ne devraient pas bénéficier d'un privilège automatique.

Selon le professeur Steve Hewitt, du département d'histoire de l'université de Birmingham, en Grande-Bretagne, le gouvernement canadien semble vouloir adopter l'approche britannique plus tôt que l'américaine, qui n'offre pas de «privilège générique» aux informateurs et aux sources. Ainsi, aux États-Unis, les sources dans des causes liées au terrorisme subissent les contre-interrogatoires serrés de la défense.

«Les informateurs donnent des renseignements pour diverses raisons, certaines nobles, d'autres moins: intérêts personnels, argent», rappelle le professeur Hewitt, auteur d'un livre sur le sujet. «Il doit y avoir des mécanismes externes de vérifications de ces témoignages, au tribunal, sans quoi on assiste à des abus de justice.»