La présence du Bloc québécois (BQ) à Ottawa ne fait que diluer le pouvoir politique du Québec, croit l'ex-premier ministre péquiste Lucien Bouchard, qui rappelle que la création du parti visait à préparer le terrain à la victoire du camp du «Oui» lors du référendum de 1995.

Celui qui était chargé de négocier l'entente de partenariat avec le Canada si le «Oui» l'emportait a raconté mercredi qu'il avait tenté de convaincre - sans succès - le premier ministre de l'époque, Jacques Parizeau, de proposer deux référendums aux Québécois.

«Je le regrette encore. Je me souviens d'un dimanche après-midi où j'ai demandé à le voir à sa maison. J'ai plaidé ma cause», a-t-il dit, en marge d'un visionnement de presse du documentaire Nation - Huis clos avec Lucien Bouchard.

M. Bouchard aurait voulu que le camp du «Oui» obtienne le mandat d'aller négocier la souveraineté du Québec en offrant au Canada un partenariat économique et politique, pour ensuite procéder à une mise à jour des pourparlers entre les parties.

«Après on reviendrait pour soumettre un (deuxième) référendum, a-t-il expliqué. Il n'y a personne qui (va me) convaincre qu'on n'aurait pas gagné à 55% le premier référendum. On serait (ensuite) revenu.»

S'il ignore comment «cela aurait fini», M. Bouchard s'est dit convaincu que cette stratégie aurait incité encore plus de Québécois à se prononcer en faveur de la souveraineté.

«Ça aurait changé la face du monde, a laissé tomber l'ancien premier ministre péquiste. Des négociations comme celles-là avaient toutes les chances de réussir. Je voulais tellement qu'on le fasse comme cela. Ça nous aurait fait du bien d'en gagner un référendum.»

Selon le documentaire réalisé par Carl Leblanc, plus de 150 référendums portant sur la souveraineté nationale ont été tenus à travers le monde depuis 1914. De ce nombre, seulement trois - dont deux au Québec - ont échoué «en raison du rejet des votants».

Le documentaire revient sur plusieurs moments marquants de la carrière de M. Bouchard, comme la dernière campagne référendaire, son amitié brisée avec Brian Mulroney, son départ du Parti progressiste-conservateur en 1990 ainsi que la fondation du Bloc québécois en 1991.

En revenant sur la journée du 30 octobre 1995 - où il avait été incapable d'entrer en contact avec M. Parizeau -, M. Bouchard dit maintenant comprendre pourquoi celui qui dirigeait la province à l'époque a agi de la sorte, puisqu'il y avait de «lourdes décisions» à prendre.

«Je me demande si je n'aurais pas fait la même chose, a dit M. Bouchard, après le visionnement. Il (M. Parizeau) m'avait nommé négociateur en chef, mais c'est quand même le premier ministre qui mène les choses. Un négociateur, ça remplit des mandats.»

Ce dernier se défend également d'avoir «tramé le limogeage» de M. Parizeau à la suite de la défaite du «Oui». «Il n'y a rien de plus faux, clame M. Bouchard. On m'a appelé.»

Après avoir refusé plusieurs invitations du réalisateur à revisiter son discours qu'il aurait prononcé si l'indépendance avait été réalisée, M. Bouchard a finalement cédé, ce qui lui a fait revivre une gamme d'émotions.

«C'est un discours que j'ai rédigé le jour du référendum, confie-t-il. J'étais très ému, parce que ça m'a remis dans l'atmosphère de la soirée.»

M. Bouchard, qui rend notamment hommage à René Lévesque dans son allocution, aurait cependant aimé bénéficier d'une trentaine de secondes. «Je parlais de M. Parizeau, en termes très élogieux, et je pensais que ça aurait balancé l'affaire», déplore-t-il.

Quant à sa relation d'amitié brisée avec M. Mulroney, M. Bouchard croit que des amis ne devraient pas faire de la politique ensemble si leurs opinions sont différentes sur certains principes.

Élu premier ministre du Canada en 1984, Brian Mulroney avait nommé celui qui était son ami ambassadeur canadien à Paris en 1985 avant de le convaincre de faire le saut en politique fédérale. Les relations entre les deux hommes se sont toutefois rapidement détériorées dans la foulée de l'échec de l'accord du lac Meech.

Si les deux hommes - qui se connaissent depuis leurs années d'études en droit - se croisent parfois, il semble être tout simplement trop tard pour réparer les pots cassés.

«Je pense qu'on a un accord de ne pas embarrasser personne, souligne M. Bouchard. On va se serrer la main. Mais renouer, s'asseoir et prendre un café, non. Je ne pense pas que c'est possible. Ce n'est pas une affaire d'honneur. Ce sont des blessures.»

Le documentaire (réalisé après 22 heures d'entrevues réparties sur cinq jours) sera diffusé sur les ondes de Télé-Québec le 25 août prochain.