L'Agence du revenu du Canada (ARC) a dit à une organisation caritative bien connue qu'elle ne pouvait plus tenter de prévenir la pauvreté dans le monde, mais seulement la réduire, parce que le fait de prévenir la pauvreté pourrait bénéficier à des personnes qui ne sont pas vraiment pauvres.

Cette étrange dispute bureaucratique entourant l'énoncé de mission d'Oxfam Canada est une preuve de plus de la détérioration des relations entre le gouvernement conservateur et certains organismes de bienfaisance canadiens.

La bagarre lexicale a commencé quand Oxfam a rempli des documents auprès d'Industrie Canada pour renouveler son statut d'organisation sans but lucratif, tel que requis avant le 17 octobre en vertu d'une loi adoptée en 2011.

Oxfam Canada, dont le siège se trouve à Ottawa, avait initialement soumis un document indiquant que son objectif en tant qu'organisation caritative est «de prévenir et de soulager la pauvreté, la vulnérabilité et la souffrance en améliorant les conditions des individus dont la vie, les moyens de subsistance, la sécurité ou le bien-être sont à risque».

L'organisation de développement international, fondée en 1963, consacre chaque année quelque 32 millions à ses projets en Afrique, en Asie, en Amérique centrale et en Amérique du Sud, en mettant l'accent sur les droits des femmes.

Mais le dossier soumis à Industrie Canada doit aussi être approuvé par la Direction des organismes de bienfaisance de l'ARC, et c'est à ce moment que les problèmes ont commencé.

Des responsables de l'agence ont indiqué à Oxfam que «prévenir la pauvreté» n'était pas un objectif acceptable.

«Réduire la pauvreté est charitable, mais la prévenir ne l'est pas», s'est fait dire l'organisation. «Prévenir la pauvreté pourrait signifier d'aider une classe de bénéficiaires qui ne sont pas pauvres.»

Le directeur administratif d'Oxfam a qualifié cet échange de «conversation absurde».

«Leur interprétation était que le fait de prévenir la pauvreté pourrait impliquer ou ne pas impliquer des personnes pauvres», a expliqué M. Fox en entrevue avec La Presse Canadienne.

«Un groupe de millionnaires pourrait se rassembler pour prévenir leur propre pauvreté, et cela ne serait pas considéré comme un objectif charitable.»

L'ARC a finalement eu gain de cause, et le document soumis par Oxfam à Industrie Canada ne fait plus référence à la prévention de la pauvreté.

«Notre énoncé de mission indique toujours que nous sommes engagés à mettre fin à la pauvreté, mais nos (objectifs) charitables n'utilisent pas les mots »fin« ou »prévenir«; on parle plutôt de »réduire«», a indiqué M. Fox.

Un porte-parole de l'ARC, Philippe Brideau, a refusé de donner des informations sur ce désaccord avec Oxfam, en affirmant que l'agence «ne commente pas des cas spécifiques».

Il a toutefois précisé que les précédents jurisprudentiels montrent que les organismes de bienfaisance ne peuvent empêcher des personnes déjà appauvries de sombrer dans la pauvreté.

«Les objectifs de réduction de la pauvreté sont charitables parce qu'ils fournissent un soulagement seulement aux bénéficiaires admissibles, ceux qui sont dans le besoin», a écrit M. Brideau dans un courriel.

«Cependant, les tribunaux n'ont pas estimé que le risque de pauvreté était équivalent au fait d'être véritablement dans le besoin. Par conséquent, comme les tribunaux l'ont indiqué, une organisation ne peut être enregistrée avec l'objectif explicite de prévenir la pauvreté.»

Le porte-parole a également mentionné que les organismes de bienfaisance étaient toujours autorisés à enseigner des notions de gestion de l'argent et du budget personnel et d'autres aptitudes de la vie quotidienne, ce qui pourrait mener à la prévention de la pauvreté.

Plus tôt cette année, Oxfam Canada avait été critiqué par le ministre fédéral de l'Emploi, Jason Kenney, pour son opposition aux colonies juives en Cisjordanie.

Cette dispute n'est qu'une nouvelle illustration du refroidissement des relations entre le gouvernement Harper et certains organismes de bienfaisance, dont plusieurs ont été visés depuis 2012 par des vérifications de leurs «activités politiques».

L'ARC, armée d'un financement spécial de 13 millions, mène présentement des vérifications auprès de 52 organismes de bienfaisance, dont plusieurs ont déjà critiqué les programmes et les politiques du gouvernement Harper, en particulier dans le domaine de l'environnement.

La liste comprend notamment Amnistie internationale Canada, la Fondation David Suzuki, Canada sans pauvreté et Kairos.

PEN Canada, une organisation de Toronto qui défend la liberté d'expression, a été ajoutée cette semaine à la liste des organisations qui font l'objet de vérifications. Le groupe avait tiré la sonnette d'alarme quant au musellement des scientifiques payés par le gouvernement.