Le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu s'est placé en situation de conflit d'intérêts en faisant pression sur l'administration du Sénat pour qu'elle accorde des conditions de travail plus favorables à son amie de coeur, a conclu la Conseillère sénatoriale à l'éthique dans un rapport rendu public mercredi.

La conseillère Lyse Ricard a cependant décidé de ne pas imposer de sanction au sénateur conservateur. « Bien que je sois d'avis que le sénateur Boisvenu a enfreint les articles 8 et 9 du Code [régissant les conflits d'intérêts des sénateurs], je crois que c'est de bonne foi qu'il a commis cette erreur de jugement », a-t-elle conclu.

La plainte avait été déposée par la sénatrice libérale Céline Hervieux-Payette. Au bureau de M. Boisvenu, on a indiqué qu'il est en vacances et qu'il est impossible de le joindre.

Le sénateur a développé une relation amoureuse avec son adjointe, Isabelle Lapointe, après l'avoir embauchée en 2010. Il a par la suite renouvelé son contrat de travail à deux reprises, malgré la naissance de leur relation, que le rapport décrit comme « intermittente ». 

La Presse a révélé l'existence de cette relation en mars 2013, et le fait que M. Boisvenu a réclamé des frais de subsistance dans la Capitale fédérale comme s'il résidait toujours à Sherbrooke, alors qu'il était séparé de son épouse. Ce reportage l'a poussé à rembourser aux contribuables l'équivalent de 31 journées d'allocations réclamées en trop.

L'attention médiatique et diverses enquêtes sénatoriales ont convaincu les conservateurs au Sénat de trouver un autre emploi à Mme Lapointe. Aidée par le sénateur conservateur influent David Tkatchuk, elle a été embauchée comme agente aux projets spéciaux par l'administration du Sénat en mars 2013.

Selon le sénateur Boisvenu et Mme Lapointe, il avait alors été convenu avec le sénateur Tkatchuk qu'elle pourrait prendre deux semaines de congés de maladie pour se remettre de ses émotions. L'administration du Sénat a plutôt décidé de retrancher ces deux semaines de ses vacances annuelles.

Contrariée, Mme Lapointe s'est plainte de la situation à Pierre-Hugues Boisvenu, qui a fait part de son désaccord au greffier du Sénat à trois reprises, dont une fois par écrit. L'ancienne adjointe aurait aussi dénoncé le fait qu'elle était confinée à une petite aire de travail sans fenêtre, et qu'elle se sentait isolée.

Mais les pressions de M. Boisvenu ont indisposé le greffier, qui s'en est plaint au Comité directeur de la régie interne, composé de sénateurs de tous les partis et chargé d'administrer les affaires courantes de la Chambre haute. Le greffier a qualifié ces démarches de déplacées et le Comité directeur de la régie interne, à majorité conservatrice, a fait écho à ses préoccupations dans une lettre adressée au sénateur Pierre-Hugues Boisvenu le 4 juin 2013.

« Nous tenons à mentionner que, puisque Mme Lapointe est employée par l'Administration, il est inapproprié que vous interveniez dans la gestion des employés du Sénat qui ne relèvent pas de vous et que vous continuiez à poser questions concernant ses conditions d'emploi », a écrit le comité.

« Le comité directeur est catégorique : vous devez cesser immédiatement d'agir ainsi. »

Circonstances atténuantes

La conseillère sénatoriale à l'éthique a conclu dans son rapport rendu public mercredi que le sénateur Boisvenu avait « favorisé les intérêts de l'employée de façon irrégulière » en renouvelant son contrat en 2011 et en 2012, puisqu'il « avait eu une relation personnelle avec l'employée peu importe si cette relation avait cessé ou non ».

Elle a aussi conclu qu'il avait contrevenu aux règles régissant les conflits d'intérêts des sénateurs en tentant de négocier des conditions d'emplois plus favorables pour Mme Lapointe.

Elle a cependant indiqué que l'embauche de son adjointe en 2010 n'était pas problématique, puisqu'il n'existait alors aucune relation amoureuse entre eux.

Lyse Ricard a enfin jugé que « plusieurs circonstances atténuantes militent contre l'imposition d'une sanction ». D'abord, elle a donné foi aux propos de M. Boisvenu, qui a affirmé qu'il était intervenu en la faveur de Mme Lapointe, comme il l'aurait fait pour tout autre employé. Ensuite, elle a jugé que la question des deux semaines de congé (maladie ou vacances) pouvait relever d'un malentendu et qu'« il cherchait, par ses interventions à ce moment, à faire respecter ce qui, selon lui, avait été convenu ».