Pourquoi l'enveloppe de 1,9 milliard de dollars supplémentaires promise par le gouvernement Harper pour favoriser l'éducation autochtone a-t-elle semé à ce point la zizanie?

Zizanie il y a, assurément. Parce qu'il avait donné l'aval à ce projet de loi C-33, le président de l'Assemblée des Premières Nations, Shawn Atleo, critiqué de toutes parts par quantité de chefs, a fini par craquer et par démissionner, la semaine dernière. Embarrassé par le départ de son interlocuteur autochtone, Ottawa a choisi en début de semaine de mettre son projet de loi sur la glace pour l'instant.

Qu'y avait-il dans cette loi qui ulcérait les autochtones au point où leurs représentants au Québec s'étaient même adressés aux tribunaux, en février, pour la contrer?

Un projet de loi mal ficelé?

Depuis des mois, des chefs de partout au pays dénoncent le fait que ce projet de loi, contrairement à ce qu'il prétend, vise selon eux à assurer la mainmise d'Ottawa sur l'éducation autochtone, ne valorise pas l'enseignement de leurs cultures et de leurs langues et prévoit une série de mesures de reddition de comptes particulières et de cibles de performance (diplomation, assiduité scolaire, etc.).

Michèle Audette, présidente de l'Association des femmes autochtones du Québec, commence par avoir de bons mots pour Shawn Atleo qui, selon elle, a été victime, comme tant d'autres leaders autochtones, «de cette tendance dans nos communautés à personnaliser les débats à outrance».

N'empêche, contrairement à lui, elle n'a jamais vu d'un bon oeil cette loi C-33.

Pour elle, ce projet de loi est mal ficelé, et la somme de 1,9 milliard promise à partir de 2015 ne serait que de l'argent jeté par les fenêtres. «Moi, je leur dis: "Arrêtez de saupoudrer de l'argent dans des petits programmes à courte vue le temps de votre petit mandat de ministre. Assoyez donc plutôt plusieurs ministres à une même table - celui qui est chargé de la santé, de l'éducation, du logement, de l'emploi - et commencez donc par élaborer un plan global et concerté. Parce qu'on peut bien mettre de l'argent en éducation, ça ne donnera pas grand-chose si les écoles sont vides. Ça n'incitera pas celle qui est devenue mère à 14 ans à retourner étudier. Ça n'incitera pas un jeune à s'accrocher s'il voit qu'il n'y a aucun emploi pour lui dans sa communauté." »

Bruno Sioui, professeur au département de développement humain et social à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, abonde dans le même sens. «Où un jeune peut-il étudier s'il y a 10 ou 12 personnes dans sa maison de deux chambres à coucher?»

Le «diable est dans les détails», aussi, selon M. Sioui. Il dit avoir été surpris de lire dans le projet de loi qu'un poste d'inspecteur des écoles était créé, «ce qui ne s'était pas vu depuis les années 60 et ce qui pourrait entraîner la mise en tutelle d'écoles en cas de rapport défavorable».

Le projet de loi prévoit aussi que les enseignants doivent nécessairement être titulaires d'un brevet d'enseignement en règle, «ce qui est loin d'être le cas des aînés qui sont souvent les plus aptes à transmettre les langues autochtones».

Recrutement d'enseignants difficile

Autre problème de la loi, selon Bruno Sioui: elle ne s'attaque qu'à l'éducation dans les réserves, alors que la moitié des autochtones au Canada vivent hors réserve. «Que prévoit-on pour eux?»

Et sur le terrain, de quoi a-t-on besoin? Un peu comme M. Sioui, qui s'inquiète du fait que les enseignants autochtones sont nombreux à être sur le point de prendre leur retraite sans qu'on sache qui les remplacera, Sylvie Pinette, directrice de l'école innue Johnny-Pilot, près de Sept-Îles, évoque le recrutement difficile. «Dans les communautés éloignées, il est vraiment difficile de trouver du personnel qualifié.»

Autrement? Autrement, dit-elle, nombreuses sont les écoles autochtones, comme la sienne, qui auraient besoin d'être agrandies.

Quant aux programmes d'études, souligne-t-elle, les écoles autochtones sont soumises aux mêmes évaluations standardisées que les autres écoles québécoises et aux mêmes programmes.