Le gouvernement Harper se dit surpris de la décision de la Cour suprême du Canada au sujet de la nomination du juge Nadon et il entend maintenant examiner ses options.

Dans une décision historique rendue vendredi, la Cour suprême du Canada a invalidé cette nomination, au motif qu'il n'était pas admissible à siéger au plus haut tribunal du pays à titre de l'un des trois juges du Québec.

Un juge surnuméraire de la Cour d'appel fédérale, M. Nadon n'a pas pratiqué le droit au Québec depuis le début des années 1990. Il siège depuis à des tribunaux fédéraux comme la Cour fédérale, la Cour d'appel fédérale et la Cour d'appel de la Cour martiale canadienne.

«Nous sommes vraiment surpris par la décision d'aujourd'hui», a déclaré un porte-parole du premier ministre Stephen Harper, Stephen Lecce. 

Le porte-parole a souligné que chose rare, le gouvernement avait pris soin d'obtenir l'avis juridique d'anciens juges de la Cour suprême et d'un constitutionnaliste «de renom» au sujet de l'admissibilité d'un juge surnuméraire de la Cour d'appel fédérale avant d'annoncer sa nomination. 

«Aucun n'a vu le bien fondé de la position de la Cour», a dit M. Lecce.

Il a ajouté qu'un comité parlementaire où l'opposition était représentée avait aussi participé au processus de sélection. «Jamais un de ses membres, même de l'opposition, ne s'est objecté à la nomination d'un membre de la Cour d'appel fédérale à la Cour suprême, qui est en soi une cour fédérale. Comme même l'opposition l'a reconnu, monsieur le juge Nadon est un esprit juridique distingué et respecté», a souligné le porte-parole.

«Nous allons examiner la décision et les options qui s'offrent à nous», a-t-il conclu.

Consultation du Québec

Mais à Québec et dans l'opposition à Ottawa, on estime que le gouvernement Harper aurait pu éviter toute cette histoire s'il avait tenu compte dès le départ des recommandations du gouvernement du Québec. Ils l'exhortent à apprendre de ses erreurs dans l'avenir.

La décision de la Cour suprême reflète «exactement ce que nous défendions», s'est réjoui Pauline Marois. «Et cela fait la démonstration que quand le Québec se tient debout, nous pouvons avoir gain de cause. Dans le cas présent, il n'y avait pas d'autre choix possible. M. Harper a erré en voulant nommer le juge Nadon.»

«On n'en serait pas là si ce n'était des gestes unilatéraux qui ont été posés par le gouvernement fédéral dans ce dossier, et si on avait tenu compte de la liste du gouvernement du Québec», a tranché le ministre des Affaires intergouvernementales du Québec, Alexandre Cloutier.

La porte-parole de l'Opposition officielle à la Chambre des communes, Françoise Boivin, est du même avis.

Le processus actuel de nomination des juges à la Cour suprême du Canada prévoit que le ministre de la Justice fournit une courte liste de candidats à un comité parlementaire qui siège à huis clos, après consultation d'intervenants au sein de la région concernée, incluant le ministre de la Justice, les barreaux et les tribunaux.

Ce comité parlementaire lui fournit ensuite une liste de candidats recommandés.

La députée néo-démocrate juge que le processus actuel, bien qu'il ne soit pas parfait, peut fonctionner si le gouvernement le respecte, incluant sa portion consultation.

«J'espère que le gouvernement conservateur, le ministre (de la Justice) MacKay, va prendre plus de temps pour analyser et faire les choses correctement», a dit Mme Boivin en point de presse.

Le respect des procédures en place est d'autant plus criant que la Cour fera face à une nouvelle vacance du Québec prochainement: le juge Louis Lebel arrive à l'âge obligatoire de la retraite vers la fin de 2014.

«La nomination d'un juge du Québec à la Cour suprême devrait être faite à partir d'une liste soumise par le gouvernement du Québec», a réclamé le député du Bloc québécois André Bellavance. 

«Insultant»

La députée Françoise Boivin a par ailleurs qualifié d'«insultante» la tentative du gouvernement Harper de modifier la Loi sur la Cour suprême par l'entremise d'un projet de loi omnibus sur la mise en oeuvre du budget.

La Cour suprême a jugé qu'il s'agissait d'une modification constitutionnelle qui nécessitait l'aval unanime de toutes les provinces.

«Honnêtement, c'est insultant, a lancé Mme Boivin. Et c'est insultant pas juste pour le Québec. C'est insultant pour les avocats, c'est insultant pour les juges et c'est particulièrement insultant pour cette grande institution qu'est la Cour suprême du Canada.»

«C'était une procédure qui était totalement inappropriée, a renchéri Alexandre Cloutier. On a voulu corriger une erreur en en faisant une deuxième. C'est exactement ce que la Cour est venue leur dire.»

Selon le ministre péquiste, l'avis de la Cour suprême prouve que «les questions constitutionnelles sont des enjeux importants qu'on ne peut pas juste rejeter du revers de la main, comme veut le faire M. Couillard».

En plein coeur d'une campagne électorale au Québec, le politicien estime que la situation aurait pu être bien différente si un autre parti que le Parti québécois avait été au pouvoir à Québec.

«Je suis loin d'être convaincu que le gouvernement libéral aurait même vu le problème, a dit M. Cloutier. Alors que nous, il a toujours été clair que l'on interviendrait devant les tribunaux. C'est d'ailleurs nous qui avons initié la motion unanime à l'Assemblée nationale.»

«Tous les enjeux Québec-Ottawa, il faut toujours leur tirer un peu l'oreille pour finalement les convaincre qu'on a raison, parce qu'ils sont toujours très méfiants lorsque vient le temps de défendre les intérêts du Québec», a-t-il, ajouté.

Le ministre du Parti québécois nie cependant que l'avis de la Cour suprême, qui «donne raison sur toute la ligne» à son gouvernement, vienne contredire l'argument du camp souverainiste selon lequel les décisions de la Cour suprême favorisent le Canada au détriment du Québec.

«Pour une telle conclusion, il faut avoir une perspective de l'ensemble des décisions, incluant celles qui sont venues invalider les clauses de la langue française, qui pourtant étaient des clauses fort importantes pour les Québécois, a-t-il souligné. Mais dans cette décision précise, force est de reconnaître que la Cour a donné raison entièrement au gouvernement du Québec et on se réjouit de cette décision.»

Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, s'est lui aussi réjoui de la décision de la Cour suprême, vendredi. À ses yeux, le jugement relève du «gros bon sens».

«Le principe demandait que ce soit un juge qui vient clairement du Québec, a-t-il déclaré lors d'un point de presse à Québec. Ce n'était pas le cas avec le juge Nadon.»

- Avec Tommy Chouinard et Martin Croteau