Si elle demeure fidèle à ses décisions antérieures, la Cour suprême du Canada devrait statuer que le gouvernement Harper ne peut modifier les «caractéristiques fondamentales» du Sénat sans obtenir au préalable l'accord d'une majorité de provinces, estime l'expert constitutionnel Benoît Pelletier.

Ainsi, le plus haut tribunal du pays devrait rejeter les changements que souhaite apporter au Sénat le gouvernement Harper, soit la nomination de sénateurs élus et la limitation de leur mandat à neuf ans, parce qu'il a omis de consulter les provinces, selon M. Pelletier, ancien ministre des Affaires intergouvernementales dans le gouvernement de Jean Charest.

Dans une analyse juridique publiée dans la Revue générale de droit de l'Université d'Ottawa, M. Pelletier suggère les réponses que devrait donner la Cour suprême aux questions qui lui ont été adressées dans le cadre du renvoi du gouvernement conservateur portant sur sa réforme du Sénat.

Ce renvoi a été entendu l'automne dernier par les juges de la Cour suprême. Une décision devrait être rendue au cours des prochains mois. Mais pour M. Pelletier, qui est professeur de droit à l'Université d'Ottawa, il ne fait aucun doute dans son esprit que les juges donneront raison aux provinces, comme le Québec, qui contestent les mesures unilatérales d'Ottawa.

D'autant plus que la Cour suprême a déjà statué, en 1979, dans un renvoi sur la compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, que le gouvernement fédéral ne peut, de manière unilatérale, «apporter des modifications qui porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles attribuées au Sénat pour assurer la représentation régionale et provinciale dans le système législatif fédéral».

Selon M. Pelletier, modifier la durée du mandat des sénateurs ou encore nommer des sénateurs élus dans le cadre d'un scrutin fédéral ou provincial constituent des changements fondamentaux au fonctionnement du Sénat.

«Les motifs sur lesquels la Cour a fondé son opinion en 1979 demeurent adéquats. Rien ne justifierait que le renvoi de 1979 soit ignoré ou écarté aujourd'hui», estime M. Pelletier. Même le rapatriement de la Constitution canadienne, en 1982, n'a pas modifié le cadre constitutionnel dans lequel évolue le Sénat depuis sa création par les Pères de la Confédération, souligne-t-il.

En somme, le fonctionnement du Sénat ne concerne pas que «des questions fédérales internes», mais touche au contraire «au compromis fédératif de 1867 et au jeu des relations fédérales-provinciales».

Dans son renvoi, le gouvernement Harper demande aussi à la Cour suprême de préciser la formule pour abolir le Sénat. Doit-on obtenir l'accord de toutes les provinces ou seulement l'accord de sept provinces représentant 50% de la population? À cet égard, M. Pelletier estime que la formule du 7/50 doit s'appliquer et que l'unanimité des provinces n'est pas requise. Selon lui, Ottawa peut invoquer le paragraphe 38 (1) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui est la clause de modification constitutionnelle générale et résiduaire.

Un rôle crucial

En entrevue, hier, Benoît Pelletier a défendu la raison d'être du Sénat, éclaboussé par le scandale des dépenses de certains sénateurs depuis un an. Il affirme que la Chambre haute joue un rôle crucial dans la protection des droits des minorités et la représentation des régions au Parlement, entre autres choses.

Le Québec, selon lui, a aussi tout intérêt à préserver le Sénat, qui lui garantit 24 sièges alors que son poids démographique diminue au pays.

«Je suis un partisan du Sénat actuel. Mais je crois qu'il y a lieu de bonifier le processus de nomination. Le premier ministre devrait se constituer un comité de gens crédibles qui pourraient le conseiller dans le choix des sénateurs. Je crois également en l'abolition de la ligne de parti au Sénat», a dit M. Pelletier.

Selon l'expert, ces changements pourraient être adoptés sans rouvrir la Constitution et rendraient le Sénat plus indépendant et crédible. Il a d'ailleurs évoqué ces changements dans un texte paru dans La Presse en juin 2013.

Or, en janvier, le chef du Parti libéral, Justin Trudeau, a fait siens ces changements en excluant de son caucus les sénateurs libéraux et en annonçant qu'il compte créer un comité de sages pour le conseiller dans les nominations de sénateurs s'il prend le pouvoir aux prochaines élections.