Avec le projet de loi conservateur réformant de fond en comble les règles électorales, l'arbitre - soit le Directeur général des élections - ne sera même plus sur la glace, croit celui qui remplit actuellement cette fonction.

Le directeur général des élections (DGE) Marc Mayrand ne mâche pas ses mots à l'égard du projet de loi déposé mardi par le secrétaire d'État à la Réforme démocratique, Pierre Poilievre, et pour lequel le gouvernement conservateur a déjà imposé le bâillon.

M. Mayrand affirme que la législation proposée rendra plus difficile l'accès aux urnes de certains groupes d'électeurs, notamment les autochtones, les jeunes et les personnes âgées.

«Je pense qu'il y a des dispositions qui vont limiter l'accès au vote dans ce projet de loi-là», a-t-il tranché en point de presse jeudi, commentant pour la première fois l'initiative des conservateurs.

Entre autres choses, C-23 ne permettra plus à Élections Canada de faire de la publicité pour mousser le taux de participation électorale, pourtant en déclin marqué depuis des décennies. Il interdira également le vote aux gens sans carte d'identité qui avaient autrefois recours à un témoin, une mesure qui risque de faire chuter la participation des jeunes et des personnes en situation précaire.

Le DGE juge que ce genre de modification fondamentale à la loi nécessite normalement le consensus de tous les partis et une profonde analyse. Or, les partis d'opposition ont tous exprimé de fortes critiques à l'égard de la législation proposée - qui compte 242 pages - et le débat vient d'être clos par le gouvernement de Stephen Harper en deuxième lecture, pour être renvoyé en comité.

Plus d'arbitre

Le Parti conservateur semble avoir pris en grippe Élections Canada depuis son enquête sur le stratagème du «in-and-out» en 2006 et celui, toujours en cours, sur les appels automatisés de 2011.

Et la bataille en est aussi une de mots. Lorsqu'il a déposé son projet de loi en début de semaine, M. Poilievre a déclaré que «l'arbitre ne devrait pas porter le chandail d'une équipe», jetant ainsi un doute sur l'indépendance du DGE, voire sur son objectivité.

Le commentaire n'a pas impressionné M. Mayrand. «Le seul maillot que je pense porter, si on doit continuer l'analogie, je crois que c'est celui avec les lignes blanches et noires. Ce que je note de ce projet de loi, c'est qu'il n'y aura plus d'arbitre sur la glace», a-t-il rétorqué.

Le projet de loi C-23 dépouille notamment Élections Canada de son pouvoir d'enquête en faisant passer le commissaire aux élections fédérales, en charge de l'application de la loi, sous la juridiction du directeur des poursuites pénales. Or, M. Mayrand doute qu'il aura les pouvoirs nécessaires pour mener à bien ses investigations.

«Ce qui m'inquiète, c'est de savoir si le commissaire aura la boîte à outils dont il a besoin pour faire son travail. Et j'ai peur de ne pas voir ça dans le projet de loi tel qu'il est actuellement écrit.»

Il déplore par ailleurs la perte de sa liberté d'expression, alors qu'Élections Canada n'aura plus le droit notamment d'informer le public d'une enquête sur une manoeuvre frauduleuse, comme le bourrage d'urnes ou des appels trompeurs, sauf si des accusations sont portées. «Si je comprends bien, je ne peux plus parler d'aucun autre sujet que de savoir où, quand, et comment voter.»

Sur d'autres fronts, le projet de loi augmente le plafond annuel des contributions politiques à 1500 $, encadre l'utilisation d'appels automatisés et impose de plus graves sanctions aux usurpateurs d'identité. Le DGE ne croit pas que tout doit être jeté à la poubelle, mais il estime qu'il faudra du temps pour analyser la législation.

«Ça a pris plusieurs années pour la concevoir, j'espère que j'aurai quelques semaines pour la réviser complètement. Et j'espère qu'il y aura un débat complet auquel les Canadiens pourront participer», a-t-il averti.

Pour le chef néo-démocrate Thomas Mulcair, il est inconcevable que le gouvernement adopte à toute vitesse une telle législation, et ait recours au bâillon sur un enjeu de cette taille.

«On fait face à des manoeuvres antidémocratiques de la part d'un gouvernement conservateur profondément antidémocratique (....). La loi proposée pour modifier en profondeur nos lois électorales au Canada fera en sorte d'enlever la possibilité de voter pour des centaines de milliers de Canadiens», a-t-il soutenu.

Inlassablement, M. Poilievre a répondu aux attaques de l'opposition à la période de questions, affirmant notamment que son projet de loi permettra de mettre la démocratie entre les mains des Canadiens, en s'assurant de punir ceux qui violent les lois.