Les partis de l'opposition ont accusé le bureau de Stephen Harper d'avoir retenu de l'information cruciale liée au scandale du Sénat, hier, après la découverte inopinée de courriels de l'ex-avocat du premier ministre Benjamin Perrin.

Le bureau de M. Harper a pris tout le monde au dépourvu, dimanche soir, en annonçant qu'on avait retrouvé une série de messages envoyés par M. Perrin. Ces courriels pourraient être liés aux tractations entourant le remboursement des dépenses injustifiées du sénateur Mike Duffy.

Des messages non supprimés

Rappelons que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) soupçonne M. Duffy et l'ancien chef de cabinet de M. Harper, Nigel Wright, de fraude, de corruption et d'abus de confiance dans le cadre de cette affaire.

Les enquêteurs de la GRC avaient mis la main sur les courriels des proches collaborateurs du premier ministre, mais pas sur ceux de M. Perrin. En septembre, le Bureau du Conseil privé - le ministère du premier ministre - a indiqué à la force policière que ces messages ont été supprimés parce que M. Perrin a quitté ses fonctions en mars.

Or, en raison d'un litige sur «un dossier sans lien», il s'avère que ces courriels ont été conservés. Une découverte révélée dimanche soir, qui a promptement éveillé la méfiance de l'opposition.

«Comment les Canadiens peuvent-ils être assurés de l'intégrité de ces preuves alors que le gouvernement conservateur les retient depuis trois mois?», a demandé le chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair.

«Le premier ministre nous a dit qu'il n'avait pas les courriels de Benjamin Perrin alors qu'en vérité, c'était le contraire, a ajouté le député libéral Dominic LeBlanc. Il a attendu six mois avant de finalement admettre la vérité. Benjamin Perrin était impliqué dans les négociations avec Mike Duffy, et son bureau a tenté de camoufler le remboursement illégal.»

En l'absence du premier ministre Stephen Harper, c'est le ministre de la Réforme démocratique, Pierre Poilièvre, qui a répondu aux questions. Citant une lettre du Bureau du Conseil privé, il a indiqué que c'est cet organisme - et non le premier ministre - qui a erronément informé la GRC que les courriels avaient été supprimés.

Il a également martelé que le bureau du premier ministre collabore activement à l'enquête policière.

«Le bureau du premier ministre vient à peine d'apprendre l'existence de ces courriels. Dès qu'il l'a découvert, le premier ministre a demandé que cette information soit partagée avec la GRC, et que l'existence des courriels soit rendue publique, comme ce fut le cas hier [dimanche]», a dit M. Poilièvre.

Aucun lien

Selon une source conservatrice, le litige impliquant M. Perrin concerne un dossier relevant du ministère de l'Emploi et du Développement social. La cause n'aurait donc aucun lien avec le scandale des dépenses au Sénat.

On ignore toutefois combien de courriels ont été transmis à la GRC, tout comme on ignore leur teneur. Le Bureau du Conseil privé n'avait pas répondu aux demandes de La Presse au moment d'écrire ces lignes.

M. Perrin travaille aujourd'hui à l'Université de la Colombie-Britannique. La semaine dernière, un professeur de droit à l'Université d'Ottawa a déposé une plainte contre lui auprès de son ordre professionnel, l'accusant d'avoir enfreint le code d'éthique des avocats.

Le président du Sénat compte collaborer avec la GRC

Se disant embarrassé par le scandale des dépenses qui ébranle son institution, le président du Sénat, Noel Kinsella, a fait savoir hier qu'il compte collaborer pleinement avec les autorités policières. Mais il a refusé de se prononcer sur la possibilité de forcer deux acteurs-clés de l'affaire à témoigner devant le comité sénatorial qu'il dirige.

Dans une conférence de presse inusitée, tenue sur le parquet du Sénat, M. Kinsella a assuré que le Sénat fournira à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) les courriels de quatre sénateurs impliqués dans les tractations qui ont entouré le remboursement des dépenses de Mike Duffy.

Les quatre parlementaires sont Mike Duffy, sénateur suspendu sans solde, Marjory LeBreton, ex-leader conservatrice au Sénat, ainsi que David Tkatchuk et Carolyn Stewart Olsen, qui contrôlaient le comité de la régie interne.

Il aurait été possible d'évoquer le privilège parlementaire pour refuser cette requête des enquêteurs de la police, mais M. Kinsella a fait savoir que ces documents seront bel et bien remis à l'intérieur du délai de 30 jours.

Pas de bouclier

«Le privilège parlementaire ne peut pas servir de bouclier, a dit M. Kinsella. Nous avons invité la GRC à nous aider à enquêter sur des choses que nous étions incapables de fouiller nous-mêmes.»

En revanche, M. Kinsella a affirmé que c'est aux sénateurs - et non à lui - de décider si Irving Gerstein et Michael Runia doivent témoigner devant le comité de la régie interne. Les deux hommes ont été activement impliqués dans les tractations entourant le remboursement des dépenses de Mike Duffy.

Selon un témoignage entendu la semaine dernière par le comité de la régie interne, M. Runia a pris contact avec un membre de l'équipe chargée d'enquêter sur les dépenses de Mike Duffy, après que le collecteur de fonds du Parti conservateur, le sénateur Irving Gerstein, eut communiqué avec lui.

Les conservateurs ont utilisé leur majorité au comité de la régie interne afin d'empêcher qu'on convoque M. Runia pour expliquer son geste. Une motion libérale visant à annuler ce verdict sera débattue aujourd'hui.