L'ancien négociateur en chef du Canada pour la convention sur les armes à sous-munitions accuse le gouvernement Harper d'avoir trahi la confiance des autres pays signataires en insérant une clause controversée au projet de loi sur la ratification du traité.

Earl Turcotte y est allé de cette allégation dans une déclaration écrite soumise au Comité des Affaires étrangères des Communes, qui tient ces jours-ci des audiences sur le projet de loi C-6.

Le Canada fait l'objet d'une vive condamnation à l'échelle internationale - et même de la part du Comité international de la Croix-Rouge, habituellement neutre -, en raison de cette clause. En vertu de cette disposition, les Forces armées canadiennes seraient autorisées à être impliquées dans des opérations militaires usant de telles bombes au cours d'activités conjointes avec des États non-signataires du traité, dont les États-Unis.

Selon certains observateurs, cette clause limiterait la portée du traité, qui vise à interdire le recours à une arme particulièrement dommageable pour les populations civiles.

M. Turcotte a depuis claqué la porte de la fonction publique pour manifester son opposition à l'interprétation du gouvernement de la disposition contestée.

Il dit avoir rassuré les partenaires internationaux du Canada pendant les négociations en leur affirmant que le pays ne se servirait pas de l'article autorisant les opérations conjointes avec des États non-signataires comme d'une échappatoire pour recourir à des bombes à sous-munitions.

«En tant que président de la délégation, c'est moi qui ai fait toutes les annonces au nom du Canada pendant les séances plénières. Je sais ce que j'ai dit au nom de notre pays, et ce, avec l'appui politique et de tous les niveaux à ce moment-là. Je sais aussi comment cela a été compris puis accepté par tous les 108 États qui prenaient part aux négociations», a-t-il écrit.

«Le projet de loi C-6 constitue une volte-face sur plusieurs engagements clés pris par le Canada pendant les négociations et en signant la convention en 2008. Il s'agit d'un affront aux autres États qui ont négocié de bonne foi.»

Selon M. Turcotte, le gouvernement interprète mal l'un des articles majeurs de la convention qu'il a aidé à négocier et rédiger. L'article 21 permet la collaboration militaire entre les pays signataires et ceux qui ne le sont pas.

Il visait surtout à permettre aux troupes canadiennes de prendre part à des opérations conjointes avec les États-Unis, mais pas «d'aider ou encourager» l'usage de bombes à sous-munitions.

De passage en comité parlementaire la semaine dernière, le ministre des Affaires étrangères John Baird a déclaré que la clause était nécessaire parce qu'elle préservait la relation militaire unique entre les États-Unis et le Canada.

Puis, ce fut au tour du général à la retraite et ancien commandant adjoint des forces américaines en Irak en 2004, Walt Natynczyk, de se porter à la défense de cette clause du projet de loi C-6.

«La convention elle-même, et plus précisément l'article 21, prévoit cela. Nous avons sans doute la collaboration la plus intégrée en matière de défense et de sécurité que deux pays peuvent avoir dans ce monde», a déclaré M. Baird, en entrevue.

«Aucun membre des Forces armées canadiennes ne jettera de bombes à sous-munitions sur quiconque, jamais», a affirmé M. Baird devant les journalistes lors d'une conférence de presse, dimanche.

M. Turcotte qualifie l'argument de M. Baird sur la préservation des relations militaires entre les États-Unis et le Canada d'«absurdité totale».

«S'il y avait eu la moindre indication pendant les négociations de la convention sur les armes à sous-munitions que de telles activités seraient permises en vertu de l'article 21, les autres États n'y auraient jamais consenti et je ne l'aurais jamais proposé», a-t-il soutenu.

Selon M. Turcotte, il y a eu un intense bras de fer entre le ministère des Affaires étrangères, où il travaillait, et celui de la Défense nationale quant à l'interprétation à donner à l'article 21. Une lutte que lui et son ministère ont finalement perdue.

M. Turcotte a préféré tirer sa révérence après près de 30 ans de service dans la fonction publique fédérale.

Le comité parlementaire reprendra ses audiences à compter de mardi.