Le gouvernement fédéral a lourdement censuré une étude qui soulignait les avantages de l'enregistrement des armes à feu, a appris La Presse, au moment où la Cour suprême a accepté d'entendre l'appel du gouvernement québécois dans le dossier du registre.

Le ministère fédéral de la Sécurité publique a invoqué des raisons financières pour censurer les conclusions d'une étude de 2012 qui soulignait certains avantages de l'enregistrement des armes à feu, a appris La Presse. Des raisons qui en laissent plusieurs perplexes, dont au moins un des auteurs de l'étude.

À la demande du Ministère, deux chercheurs de l'Université de Montréal se sont penchés sur le parcours d'armes à feu volées au Québec et au Canada. Ils ont conclu que les armes enregistrées avaient plus de chances d'être retrouvées rapidement que celles qui ne le sont pas, et qu'elles avaient tendance à être déplacées sur une moins grande distance.

«Le facteur ayant la plus grande incidence sur le délai vol-saisie et la distance vol-saisie est le statut d'enregistrement de l'arme», ont conclu Carlo Morselli et Dominik Blais. Ils ont évoqué l'hypothèse que les armes non enregistrées pouvaient venir de sources «plus problématiques» et ainsi s'enfoncer encore davantage dans la clandestinité après avoir été volées.

Deux versions

La Presse a obtenu deux versions du rapport. La première, hautement censurée, a été rendue publique par le gouvernement en juillet 2012, à la suite d'une demande d'accès à l'information faite par une personne non identifiée.

Ottawa a payé environ 70 000$ pour le document.

Les conclusions concernant l'enregistrement des armes y ont été noircies, de même que 45 des 47 mentions des mots «enregistré», «enregistrement» ou «non enregistré».

La deuxième version est la version intégrale du rapport, daté de mai 2012, soit un mois après l'adoption du projet de loi controversé C-19. Par ce projet de loi, le gouvernement Harper a aboli l'enregistrement et les données de plus de 90% des armes que contenait le registre fédéral des armes à feu. Seul le Québec s'est opposé à cette décision et il l'a contestée devant les tribunaux.

Motifs financiers?

Le ministère de la Sécurité publique a justifié la censure de l'étude par l'exception prévue à l'article 20(1)c) de la Loi sur l'accès à l'information. Cette exception lui donne le droit de ne pas divulguer certaines informations en sa possession lorsque leur «divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité».

Hier, les porte-parole du Ministère ont été incapables de divulguer les intérêts financiers en question. Ils ont toutefois précisé - sans qu'on les questionne à ce sujet - que seul le demandeur initial du document aurait eu le droit de porter plainte.

Or, l'un des auteurs de l'étude, Carlo Morselli, a indiqué que ni lui ni son partenaire ne s'étaient opposés à la divulgation d'informations. «C'est la première fois que je vois cela, a écrit M. Morselli par courriel. Je ne comprends pas pourquoi ils coupent tout ce qui a à voir avec les principales mesures et conclusions du rapport. Je n'ai jamais senti que je m'aventurais sur un terrain problématique.»

Michel Drapeau, avocat spécialisé dans l'accès à l'information, s'interroge également sur la position du gouvernement. «Le registre des armes à feu... Je ne vois pas le tiers qui aurait des renseignements qu'il aurait fournis au gouvernement, a-t-il dit. On a probablement dit ça parce qu'on ne voulait pas le faire, dans un premier temps. Et soit qu'on l'a fait faussement ou bêtement.»

Des partis de l'opposition trouvent quant à eux que les explications du gouvernement sont suspectes. «Je me demande quels intérêts ils essaient de protéger!», a lancé la députée du NPD Françoise Boivin.

«Ils ont simplement censuré ce qui ne faisait pas leur affaire, ce qui vient contredire leur fameuse théorie que de toute façon, d'enregistrer les armes, ça n'empêche pas les crimes de se produire, ça n'empêche pas les armes de circuler», a indiqué le député du Bloc québécois André Bellavance.

- Avec William Leclerc