Bombardé de questions par les juges, le procureur général du Canada a défendu devant la Cour suprême la proposition de réforme du Sénat du gouvernement Harper, au premier jour de l'audition du renvoi sur la Chambre haute.

L'avenir du Sénat à la Cour Suprême >>

Mardi, le plus haut tribunal du pays a entrepris d'entendre les plaidoiries du fédéral et des provinces sur le controversé renvoi sur le Sénat, qui déterminera comment la Chambre haute peut être modifiée - ou même carrément abolie.

Puisque c'est lui qui a requis l'avis de la Cour suprême, le procureur général du Canada a été le premier à présenter ses arguments, qui semblent avoir été accueillis avec un certain scepticisme.

Ottawa soutient que le gouvernement fédéral a le pouvoir de modifier seul le Sénat, sans l'approbation des provinces. Quant à son abolition, il prétend que le consentement d'une majorité des provinces est requise, mais pas de la totalité d'entre elles.

Les gouvernements provinciaux s'opposent tous à une abolition unilatérale de la Chambre haute par le fédéral.

Mais en ce qui concerne la méthode prescrite pour la modifier, les opinions des provinces divergent. Pour Québec, afin de toucher au Sénat, il est essentiel d'avoir le consentement du deux tiers des provinces - dont la population constitue au moins 50 pour cent du total du pays (la procédure dite du «7/50»).

La Cour suprême, qui siège à huit juges - en l'absence du juge québécois Marc Nadon dont la nomination est contestée en Cour fédérale - va donc déterminer quelle est la procédure constitutionnelle requise pour modifier cette institution.

Le gouvernement Harper veut limiter le mandat des sénateurs à neuf ans et tenir des élections sénatoriales - pour les provinces qui souhaiteraient en organiser.

Pour accomplir ces objectifs, il avait déposé un projet de loi en 2011, depuis mort au feuilleton. Ottawa demande tout de même à la Cour suprême comment il pourrait mettre en oeuvre ces changements, et tant qu'à y être, veut aussi savoir s'il peut abolir le Sénat.

Et même si le nombre de questions ne peut laisser présager du jugement, les juges de la Cour ont interrompu sans cesse mardi mardi les avocats du procureur général au sujet des élections et du terme des sénateurs.

La juge Rosalie Abella, notamment, s'inquiète qu'un terme de neuf ans n'enlève, du moins en partie, l'indépendance des sénateurs et leur capacité à faire leur travail.

«Notre point de vue est que cela ne va compromettre, d'aucune façon, l'habileté du Sénat d'être un «deuxième point de vue sobre et réfléchi'», a répliqué l'avocat principal du fédéral, Robert Frater.

Quant à l'indépendance du Sénat, il n'y est pas allé par quatre chemins.

«C'est une institution partisane».

Et puis, le but du renvoi n'est pas de déterminer si la réforme va affecter l'indépendance du Sénat, mais de décider qui a le pouvoir de le réformer, a protesté Me Frater, semblant vouloir remettre les pendules à l'heure.

L'Ontario plaide de son côté que si le terme est de neuf ans ou plus, ce changement peut être effectué unilatéralement par Ottawa. Mais pour une durée plus courte, la majorité des provinces doivent être d'accord. La logique derrière cet argument est que si le mandat est de moins de neuf ans, un premier ministre qui gagne deux élections consécutives pourrait remplacer absolument tous les sénateurs pendant qu'il est à la tête du pays.

Élections des sénateurs

Alors que le gouvernement Harper martèle que sa réforme, avec des élections, rendrait le Sénat plus démocratique et plus responsable, les échanges à la Cour suprême mardi ont un peu contredit ces affirmations.

Car le premier ministre ne serait pas lié par le résultat et conserverait son pouvoir de nommer qui il veut, a plaidé Me Frater.

Ainsi, puisque les élections ne seraient que «consultatives», nul n'est besoin d'amender la Constitution, ni d'obtenir l'accord des provinces, plaide le fédéral.

«Si les élections ne sont que consultatives et non contraignantes, pourquoi les gens engageraient des dépenses pour se présenter au Sénat», a demandé le juge Louis LeBel, dubitatif.

Quant au juge Marshall Rothstein, il se demandait comment le premier ministre ne serait pas obligé de donner suite au choix de la population, après un vote.

«Le premier ministre pourrait bien se sentir obligé», a répliqué Me Frater, mais il pourrait aussi choisir de mettre l'accent sur la diversité et nommer une autre personne, a-t-il fait valoir.

«Le gagnant aura le droit d'être considéré», a conclu l'avocat.

Peut-on alors réellement parler de rendre le processus plus démocratique?, a insisté le juge Rothstein.

L'Alberta a déjà procédé pour choisir des sénateurs de cette façon.

Mais pour Québec, un processus électoral changerait tout.

«Le sénateur (élu) va se comporter différemment. Il sera redevable envers ses électeurs. Il n'aura pas la même relation envers la Chambre des communes», a fait valoir Jean-Yves Bernard, l'avocat du procureur général du Québec.

Peu importe que le premier ministre se sente lié ou pas par le choix du peuple: «Il s'agit d'une modification au mode de sélection des sénateurs», tranche-t-il, qui requiert un amendement constitutionnel.

Et même si les procédures de modifications sont lourdes et complexes, elles ne peuvent être évitées comme tente de le faire le gouvernement Harper, croit-il.

Le gouvernement Harper affirme attendre l'opinion de la Cour pour connaître la marche à suivre afin d'accomplir sa réforme du Sénat.

L'audition devant la Cour suprême dure trois jours.