Le sénateur Mike Duffy a rompu le silence de manière spectaculaire, mardi, affirmant que Stephen Harper a été impliqué dès le début dans les tractations menant au remboursement de ses dépenses. Il affirme que c'est le premier ministre en personne qui lui a donné l'ordre de remettre 90 000$ au Sénat, le tout en présence de son ex-chef de cabinet, Nigel Wright.

M. Duffy était resté muet depuis la révélation que M. Wright lui a remis un chèque personnel de 90 000 $ pour rembourser ses allocations de logement. Ses premières paroles depuis l'éclosion du scandale ont eu l'effet d'une bombe sur la capitale fédérale.

M. Harper a toujours maintenu que son ancien bras droit a agi seul et qu'il n'a jamais eu connaissance de ses gestes avant que CTV évente l'affaire en mai. Or, dit M. Duffy, c'est le premier ministre en personne qui lui a ordonné de rembourser ses allocations trois mois plus tôt.

La commande serait venue lors d'une rencontre tenue le 13 février. Stephen Harper, Nigel Wright et Mike Duffy étaient les seuls à y prendre part.

Le premier ministre lui aurait alors dit que la vérité sur la légalité de ses dépenses lui importait peu.

«J'ai dit que malgré la campagne de salissage dans les médias, je n'avais pas enfreint les règles, mais le premier ministre n'était pas intéressé à des explications ou à la vérité, a déclaré M. Duffy. Ce n'est pas ce que tu fais qui compte, mais la perception de ce que tu fais qui a été créée dans les médias. Les règles sont inexplicables à notre base électorale.» 

M. Harper avait déjà évoqué cette rencontre à la Chambre des Communes, mais à la lumière des propos du sénateur, le meeting prend une importance radicalement nouvelle.

«C'est la seule fois où le premier ministre a discuté des dépenses de M. Duffy avec lui, a indiqué le porte-parole de M. Harper, Carl Vallée. Et il a clairement indiqué que les réclamations inappropriées devaient être remboursées.»

Intimidation 

M. Duffy dit avoir subi une pression intense pour qu'il obéisse à la volonté du premier ministre dans les jours qui ont suivi la rencontre. La pression s'est transformée en menaces lorsqu'il a résisté. À un certain moment, on lui a dit que le comité de la régie interne du Sénat pourrait le déclarer inhabile à siéger.

«J'ai fait un dernier effort, a dit M. Duffy. J'ai dit "Je ne crois pas que je doive quelque somme que ce soit et, d'ailleurs, je n'ai pas 90 000$". "Ne t'en fais pas, m'a dit Nigel, je vais écrire le chèque. Laisse les avocats s'occuper des détails, fais juste suivre le plan et nous gardons Carolyn Stewart Olsen et David Tkatchuk (les sénateurs qui contrôlent le comité de la régie interne) au large".»

Des tractations «élaborées» impliquant deux avocats du bureau du premier ministre et un avocat du Parti conservateur ont suivi, selon M. Duffy.

Lorsque CTV a mis à jour le paiement secret de 90 000$ versé par Nigel Wright, M. Duffy dit avoir été de nouveau placé sur la sellette. Il dit avoir été contacté par un autre proche collaborateur du premier ministre, Ray Novak. Au cours de cet appel-conférence, la leader conservatrice au Sénat, Marjory LeBreton, lui aurait dit que l'entente n'est plus valide. Elle lui aurait ordonné de démissionner sur-le-champ du caucus conservateur. 

Mike Duffy prenait la parole pour dénoncer une motion conservatrice visant à le suspendre sans salaire en compagnie des sénateurs Pamela Wallin et Patrick Brazeau. Les trois sont dans le pétrin depuis des mois pour avoir touché des allocations de logement auxquels ils n'ont pas eu droit. 

Les trois affirment qu'ils ont toujours respecté les règles.

Lien de confiance brisé

Selon le Nouveau parti démocratique, la sortie de M. Duffy taille en pièces les explications fournies jusqu'ici par Stephen Harper dans cette affaire. 

«Si, effectivement, le premier ministre se fout de la vérité complètement, les détails et les informations, et que ce qu'il veut est simplement d'étouffer cette affaire, c'est le lien de confiance avec le premier ministre qui est mis en cause», a dénoncé le député Alexandre Boulerice. 

Le leader du Parti libéral au Sénat, James Cowan, a pour sa part qualifié de «troublantes» les allégations de M. Duffy.

«C'est une allégation choquante, a-t-il déclaré. Nous avons entendu ce que M. Duffy a à dire. M. Harper devrait maintenant avoir l'opportunité de donner sa version des faits.»

Le Bloc québécois a pour sa part réitéré son appel à la tenue d'une enquête publique sur cette affaire.

«Après le témoignage du sénateur Duffy sur le rôle du premier ministre dans le scandale des dépenses au Sénat, le Bloc Québécois réitère que la tenue d'une enquête publique et indépendante est plus que jamais nécessaire pour enfin connaître toute la vérité», a indiqué par communiqué le député André Bellavance.