L'octroi de fonds gouvernementaux à un organisme évangélique qui avait décrit l'homosexualité sur son site web comme un «péché» et une «perversion» n'a pas laissé les Canadiens indifférents.

Les bureaux du premier ministre Stephen Harper et du ministre de la Coopération internationale, Julian Fantino, ont reçu de nombreux courriels et lettres de citoyens dans les jours qui ont suivi la parution de la nouvelle, selon des documents obtenus par La Presse Canadienne en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

En février, La Presse Canadienne rapportait que le groupe chrétien ontarien Christian Crossroads Communications recevait 544 813 $ de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) pour la construction de latrines et de puits en Ouganda, et pour y faire de la sensibilisation à l'hygiène.

L'Ouganda avait - et a toujours - un projet de loi à l'étude qui, une fois adopté, rendrait l'homosexualité passible de peine de mort. Or, sur le site de Crossroads, on établissait une liste de «péchés sexuels» où l'on citait justement l'homosexualité au même titre que la pédophilie ou la bestialité.

«Dieu se préoccupe trop de vous (et de tous ses enfants) pour qu'il laisse aller cet abus spirituel sans le punir», pouvait-on lire sur une page du site, qui a toutefois été effacée quand La Presse Canadienne a contacté le groupe.

Le ministre Fantino avait d'abord fait savoir par Twitter qu'il gelait les fonds destinés à Crossroads, avant de se raviser le lendemain et de lui accorder sa bénédiction. Cette position tranchait avec celle du ministre des Affaires étrangères, John Baird, qui avait dénoncé quelques mois plus tôt le sort réservé aux gais dans ce pays africain, en évoquant la mort violente, à coups de marteau, d'un militant homosexuel.

Dans les jours suivant la parution de l'article, les bureaux de MM. Harper et Fantino ont reçu 120 lettres et courriels de citoyens s'opposant au financement de Crossroads, et une cinquantaine en faveur de son maintien.

«N'êtes-vous pas au courant du nombre de gais qui sont tués ou harcelés en raison des organismes chrétiens antigais?», demande un Canadien qui dit avoir des liens familiaux en Ouganda. «Il y a quantité de groupes qui sont prêts à creuser des latrines sans mettre en danger nos frères et soeurs gais», renchérit un autre.

Certains ont utilisé l'humour pour tenter de faire passer leur message. «Je serais moins offensé si vous aviez utilisé cet argent pour doubler le salaire (du sénateur) Mike Duffy», peut-on lire dans une missive. «Aujourd'hui, je m'apprêtais à préparer ma déclaration de revenus, mais je pense remettre cette tâche pour un moment. Je suis absolument furieux», lit-on dans une autre.

Le nom des expéditeurs de ces lettres a été rayé avant la remise des documents afin de protéger leur identité.

Les défenseurs de Crossroads, de leur côté, plaident en grande partie que l'organisme ne doit pas être puni pour ses prises de position répandues chez les croyants.

«S'il vous plaît, ne prenez pas les préoccupations politiques du mouvement gai dirigé vers la foi chrétienne pour retenir l'aide aux gens nécessiteux, défavorisés et désespérés des pays du tiers-monde», écrit un citoyen.

«Tout ce que (Crossroads) fait, c'est de fournir de l'eau potable, une nécessité humaine. Si vous examinez leur bilan, très peu d'organismes ont eu le succès qu'ils ont eu», ajoute un autre.

Rapport de l'ACDI

Les documents révèlent qu'une représentante de l'ACDI a effectué une visite des projets de Crossroads les 14 et 15 février, notamment pour vérifier si l'organisme pratiquait de la discrimination.

«L'accès aux points d'eau et aux latrines est ouvert à la communauté et aux bénéficiaires ciblés lors de la construction ou de la réparation des installations», écrit Wassala Nimaga dans son rapport.

Le document de neuf pages n'aborde pas de front la thématique de la répression des homosexuels, mais indique de façon générale que Crossroads ne pratique pas de discrimination.

L'auteure a de bons mots pour le partenaire local de Crossroads, Victory Outreach Ministries (VOM) qui, en plus de ses projets de développement, «opère une église et prêche occasionnellement à la radio pour répondre aux demandes spirituelles des membres de sa congrégation, comme le font toutes les églises», peut-on lire. Le contenu de ces prêches n'est pas abordé dans le rapport.