Les observateurs de la scène politique canadienne déplorent régulièrement la piètre qualité des débats au Parlement. Il appert que les espions canadiens partagent cet avis.

Le Service canadien du renseignement et de sécurité (SCRS) estime en effet que le Parlement n'apporte aucun éclairage utile sur la politique étrangère du gouvernement Harper, révèle une analyse préparée à l'intention du directeur du service d'espionnage, Richard Fadden. La Presse a obtenu ce document en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

«Au Parlement, les débats sont largement de la rhétorique et, comme c'est typiquement le cas durant les périodes de questions, ils n'ont à peu près pas de substance lorsqu'il est question de politique de fond», tranche un analyste du SCRS dans ces notes datées du 30 janvier 2012.

Il en ressort que, du point de vue du SCRS, il vaut mieux, pour décoder les intentions du gouvernement canadien à l'étranger, s'en remettre aux entrevues qu'accordent aux médias le premier ministre Stephen Harper et le ministre des Affaires étrangères, John Baird, ou aux discours qu'ils prononcent loin de la colline parlementaire. «Cette analyse reposera largement sur les discours et les déclarations aux médias», confirment les notes obtenues par La Presse.

«Régions chaudes»

«En tant qu'agence, le SCRS doit tenir compte de la politique étrangère du gouvernement, explique Nelson Wiseman, professeur de sciences politiques à l'Université de Toronto. Il doit donc passer au peigne fin les politiques du gouvernement comme il le peut pour comprendre les positions des dirigeants du pays.»

«Les débats qui ont lieu au Parlement sont donc secondaires, à moins qu'un ministre prenne la parole», ajoute-t-il.

L'analyse du SCRS souligne d'ailleurs que les déclarations de MM. Harper et Baird ont largement porté sur «les régions chaudes» de la planète, comme la Syrie, le Proche-Orient, l'Iran, la Chine et la Corée du Nord. L'analyse fait aussi mention des commentaires des deux hommes au sujet des alliés naturels du Canada, notamment les États-Unis et les pays de l'Europe. En annexe, on trouve plusieurs citations de Stephen Harper ou de John Baird sur les droits de la personne, la région du Pacifique et la Chine, la possibilité d'une intervention en Syrie, le retrait du Canada de Kyoto ou l'Iran.

Une analyse peu surprenante

Les experts consultés par La Presse ne s'étonnent pas de voir que le SCRS juge les débats au Parlement sur les politiques étrangères sans pertinence. D'autant plus qu'il y a bien longtemps qu'un gouvernement a présenté un livre blanc sur la politique étrangère ou la politique de la défense.

Selon M. Wiseman, les positions du gouvernement canadien sont toujours établies par le cabinet, et non par le Parlement. «Il est vrai qu'il n'y a plus de grands débats politiques au Parlement, surtout durant les périodes de questions», dit-il.

Paul Adams, professeur adjoint de journalisme à l'Université Carleton, à Ottawa, souligne que la télédiffusion des débats, à partir de la fin des années 70, a largement contribué à la baisse de leur niveau. Les ministres et l'opposition cherchent constamment à marquer des points devant les caméras au lieu de contribuer à la réflexion sur des enjeux importants de la société canadienne, a-t-il noté.

Dossier des avions F-35

Le chef intérimaire du Parti libéral, Bob Rae, a pour sa part soutenu que le gouvernement Harper fait preuve d'un mépris sans précédent pour les institutions canadiennes, en particulier le Parlement.

À titre d'exemple, il cite le dossier des F-35. Le gouvernement a, selon lui, sous-évalué leur coût et induit le Parlement en erreur. Il souligne aussi que les ministres conservateurs font de plus en plus d'annonces hors de la Chambre des communes, notamment le ministre des Finances, Jim Flaherty. Depuis quatre ans, M. Flaherty fait sa mise à jour économique annuelle devant les chambres de commerce des différentes villes du pays au lieu de les présenter au Parlement, où il devrait répondre aux questions de l'opposition.

«Le gouvernement ne prend pas le Parlement au sérieux. Avons-nous eu un bon débat sur la stratégie du gouvernement en matière de défense, par exemple? Il n'a jamais expliqué au Parlement pourquoi il voulait acheter les F-35, ou tels navires. Les conservateurs ne veulent jamais s'expliquer. Je suis toujours aussi étonné de voir jusqu'à quel point le gouvernement n'est pas du tout intéressé à informer le Parlement et les Canadiens, à avoir un débat», a dit M. Rae.

- Avec la collaboration de William Leclerc