La liste tant attendue des pays considérés «sûrs» par Ottawa pour le traitement des demandes de réfugiés a été dévoilée vendredi, sans grande surprise: sur les 27 inscrits sur la liste, 25 font partie de l'Union européenne.

Les États-Unis s'y trouvent aussi, avec la Croatie. Il s'agit toutefois d'une liste initiale. D'autres pays seront ajoutés dans les mois qui suivent, annonce déjà le ministère de l'Immigration.

Ceux-ci risquent de créer encore plus de vagues que ceux de la première série, en plus d'être un casse-tête politique pour Ottawa. Le gouvernement fédéral négocie actuellement la conclusion de traités de libre-échange avec une multitude de pays, et accepter leurs réfugiés pourrait être un irritant. Le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, assure toutefois que ces deux dossiers sont traités séparément.

Quant au nouveau régime de traitement des demandes de réfugiés, il sera en vigueur dès samedi.

Cette désignation de «pays sûrs» est très importante car elle comporte bon nombre de conséquences négatives pour les demandeurs de statut de réfugié.

Par exemple, si leur demande d'asile est refusée, ils n'auront pas la possibilité d'en appeler de cette décision devant l'instance d'appel comme les autres réfugiés. Ils seront aussi déportés beaucoup plus rapidement. Leur demande de statut devra être préparée dans des délais plus courts, soit de 30 à 45 jours après leur demande.

Ces réfugiés en provenance de pays considérés généralement comme «sûrs» n'auront pas droit aux soins médicaux de base, sauf pour le traitement de maladies qui pourraient être une menace pour la santé publique.

Ottawa dit agir de cette façon car le système d'immigration canadien a été, ces dernières années, inondé de demandes de faux réfugiés, en provenance de pays démocratiques où les droits de la personne sont respectés. Le ministre de l'Immigration, Jason Kenney, affirme que la plupart de ces demandes étaient ensuite soit abandonnées, soit rejetées.

Les fausses demandes provenaient en majeure partie de l'Europe, dont beaucoup de Hongrie, selon le ministère. Plusieurs observateurs critiques ont affirmé que le Canada semblait ainsi vouloir exclure les demandeurs d'asile qui sont des Roms.

Dans le cas des réfugiés en provenance de Hongrie, 93 pour cent des demandes traitées dans les neuf premiers mois de cette année ont été refusées, ainsi que 98 pour cent de celles de la République tchèque. Les deux pays apparaissent sur la liste.

Cette situation était toutefois très coûteuse pour le Canada et retarde le traitement des «vrais réfugiés», a-t-il dit. Les pays de la liste sont ceux qui ne produisent normalement pas de réfugiés, affirme-t-il.

«Grâce à ces améliorations, nous veillons à ce que les réfugiés authentiques qui fuient la persécution obtiennent plus rapidement notre protection et, parallèlement, à ce que les demandeurs d'asile déboutés provenant de pays normalement sécuritaires soient renvoyés beaucoup plus rapidement», a précisé le ministre.

Mais même si ces réfugiés de pays sûrs peuvent toujours formuler une demande - avec des privilèges en moins - le tort est déjà fait, dit Gloria Nafziger, d'Amnistie internationale.

«Le fait que vous êtes maintenant identifié venir d'un pays présumé sûr, il y a déjà un préjugé contre la légitimité de votre demande», dit-elle.

Parmi les pays absents de la liste, on retrouve Israël, pourtant une démocratie et grand ami du Canada.

Le ministre de l'Immigration a expliqué cette absence par le fait que son ministère s'est d'abord concentré sur les pays d'Europe, puisque les fausses demandes provenaient surtout de cette région. Et aussi par les ressources limitées dont il disposait pour faire toutes les vérifications nécessaires sur tous les pays, a-t-il déclaré en posant la main sur un gros cartable noir sensé contenir les études sur les différents pays.

Plusieurs seront bientôt ajoutés, a-t-il expliqué, et sont déjà sous considération, comme l'Inde et le Mexique.

Curieusement, certains autres pays sûrs à première vue - et situés dans l'espace européen -  comme la Suisse et la Norvège, n'ont pas non plus obtenu de place sur la liste.

Jason Kenney s'est d'ailleurs défendu que de placer un pays ou non sur cette liste constitue un «jugement de valeur» sur la qualité de la démocratie des pays visés.

«Il n'y a pas une liste de bons pays et une liste de mauvais pays, a dit le ministre. C'est un outil que nous pouvons utiliser pour réduire les délais».

Les seuls deux pays de l'Union européenne qui n'ont pas réussi à se faufiler sur la liste sont la Roumanie et la Bulgarie.

En 2011, du total des demandes d'asile présentées par des ressortissants de l'Union européenne  partout dans le monde, plus de 80 pour cent l'ont été au Canada, et ce, même si les ressortissants de l'UE ont le droit de circuler librement dans les 27 États membres, note le gouvernement.

Pour expliquer que sa démarche est légitime, Ottawa fait entre autres valoir que de nombreuses démocraties développées utilisent un pouvoir similaire afin d'accélérer le traitement des demandes d'asile présentées par les ressortissants de pays reconnus comme ne produisant pas normalement de réfugiés. Il s'agirait notamment du Royaume-Uni, de la France, de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Norvège et de la Suisse.

La réforme du système a eu son lot de critiques depuis qu'elle a été annoncée. Ils n'ont pas été plus silencieux vendredi, à la veille de la mise en vigueur de ses dispositions.

«Refuser l'accès à l'appel à certains demandeurs, uniquement sur la base du pays d'où ils viennent, constitue un traitement non équitable et injuste. La conséquence risque d'être que des erreurs ne seront pas corrigées et que les réfugiés seront renvoyés de force vers un risque de persécution, en violation des obligations contraignantes du Canada en matière de non-refoulement, en vertu du droit international», a déclaré Gloria Nafziger, d'Amnistie internationale Canada, par voie de communiqué.

Pour l'association canadienne des avocats des réfugiés, ce n'est pas parce qu'un pays est jugé sûr pour certains, qu'il est sûr pour tous.

Selon l'association, certains pays de la liste, comme la Hongrie, sont généralement démocratiques mais ont des institutions comme la police et le bureau des poursuites, qui n'offrent pas de protection suffisante pour tous, comme les Roms et les Juifs, qui subissent la discrimination et la persécution.