Le scandale des appels frauduleux de «Pierre Poutine» semblait jusqu'ici cantonné au Canada anglais, mais les enquêteurs suivent maintenant une piste québécoise. Des documents produits en cour révèlent qu'Élections Canada enquête sur des appels trompeurs qui auraient eu lieu dans 20 circonscriptions du Québec lors des dernières élections fédérales.

«Je crois que, par le prétexte ou la ruse que représentent ces appels trompeurs ou dérangeants, le ou les appelants ont volontairement empêché ou se sont efforcés d'empêcher des électeurs de voter à l'élection du 2 mai 2011», affirme André Thouin, enquêteur d'Élections Canada, dans une dénonciation visant à obtenir des relevés téléphoniques.

Ce document a été produit à la Cour fédérale dans le cadre d'une bataille juridique qui oppose le Conseil des Canadiens au Parti conservateur. Cette cause est débattue cette semaine à Ottawa. L'organisme de gauche veut faire invalider les élections dans six circonscriptions remportées par les conservateurs en mai 2011, au motif que des appels trompeurs y ont eu lieu.

Aucune des circonscriptions au coeur du litige ne se trouve au Québec. Mais la dénonciation produite pour appuyer les prétentions des plaignants confirme pour la première fois qu'Élections Canada enquête sur le stratagème dans la province.

20 circonscriptions touchées

Dans les jours qui ont précédé le scrutin fédéral, des citoyens de 20 circonscriptions (voir tableau) ont été appelés, soit par une machine automatisée, soit par une personne. On les informait - faussement - que leur bureau de vote avait été déplacé, le plus souvent vers une adresse plus éloignée de leur domicile.

La plupart des personnes interrogées par l'enquêteur ont ignoré les appels et voté au local indiqué sur leur carte d'électeur.

Une résidante de la circonscription montréalaise de La Pointe-de-l'Île a toutefois été dirigée vers un bureau de scrutin qui n'était pas le sien par une personne qui l'a appelée le jour du vote. Ce n'est qu'une fois arrivée sur les lieux qu'elle a été redirigée au bon endroit.

Un autre électeur de la circonscription de Rivière-du-Nord, dans les Laurentides, a reçu trois appels automatisés provenant prétendument d'Élections Canada. On l'informait que son bureau de vote avait changé d'adresse. Au final, il n'a pas voté.

D'autres électeurs ont reçu des appels dérangeants, à des heures inhabituelles, comme tôt le matin ou tard en soirée, selon l'enquêteur Thouin. Leur interlocuteur affirmait représenter un parti politique ou un candidat.

Un cas recensé par l'enquêteur aurait eu lieu dans Outremont, la circonscription du chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair. Un autre appel trompeur est répertorié dans la circonscription de Laurier-Sainte-Marie, occupée jusqu'aux dernières élections par l'ancien chef du Bloc québécois Gilles Duceppe.

Rien, dans la dénonciation de l'enquêteur, ne laisse croire qu'il soupçonne le Parti conservateur d'être à l'origine des appels trompeurs au Québec.

Accusation

Les partis de l'opposition accusent les conservateurs d'être à l'origine du stratagème depuis des mois. Ils montrent du doigt le cas de Guelph, en Ontario, où des citoyens ont reçu un message automatisé provenant d'un numéro à l'indicatif régional 450. Ce téléphone cellulaire jetable appartenait à un certain «Pierre Poutine», résidant de la «Separatist Avenue», à Joliette.

Le message était relayé par un centre d'appels situé en Alberta, qui a eu plusieurs contacts avec le candidat conservateur pendant la campagne.

Le Parti conservateur a toujours maintenu qu'il a mené une campagne propre. Il a réitéré ce fait à la suite des nouvelles révélations qui concernent le Québec.

«Le Parti conservateur du Canada a mené une campagne propre et éthique et n'a pas été impliqué dans la suppression du vote, a affirmé son porte-parole, Fred DeLorey, hier. Nous avons passé toute la campagne à identifier des supporters et nous avons travaillé fort pour les encourager à voter.»

Le Conseil des Canadiens, quant à lui, maintient que le stratagème est une entreprise à grande échelle qui a profité au Parti conservateur. Le groupe estime que la piste québécoise, révélée par les documents d'Élections Canada, renforce sa cause.

«La preuve nous mène de plus en plus vers la base de données centrale du Parti conservateur», affirme Garry Neil, directeur du groupe.

Élections Canada a reçu 800 plaintes de 10 provinces liées au scandale des appels trompeurs. L'organisme refuse de préciser le nombre de plaintes reçues au Québec.

Fidèle à sa politique, Élections Canada n'a par ailleurs ni confirmé ni infirmé la tenue d'une enquête sur les appels au Québec.

Les 20 circonscriptions

Beauport-Limoilou

Gatineau

Hull-Aylmer

Jeanne-Le Ber

La Pointe-de-l'Île

Laurier-Sainte-Marie

Laval-Les Îles

Lotbinière-Chutes-de-la-Chaudière

Louis-Hébert

Marc-Aurèle-Fortin

Mont-Royal

Notre-Dame-de-Grâce-Lachine

Outremont

Pierrefonds-Dollard

Pontiac

Portneuf-Jacques-Cartier

Québec

Rivière-des-Mille-Îles

Rivière-du-Nord

Vaudreuil-Soulanges