C'est l'histoire d'un Somalien que le Canada veut à tout prix expulser... et qui ne demande pas mieux. L'ennui, c'est que la Somalie exige qu'il transite obligatoirement par l'aéroport de Mogadiscio, la capitale, et qu'il signe un document attestant de son identité et de sa tribu, qui a combattu le gouvernement. Fouad Jama Rabi refuse net et estime que cela équivaut à un arrêt de mort. Résultat: l'errance, 23 ans plus tard.

Le cas de Fouad Jama Rabi, dont le frère et le père ont été tués lorsqu'ils combattaient le gouvernement, est plutôt particulier. En septembre, il s'est présenté lui-même aux autorités canadiennes dans l'espoir de faire avancer son dossier. C'est là qu'Ottawa a voulu le contraindre à signer la déclaration qu'exige Mogadiscio. Il a refusé et a expliqué qu'il lui fallait plutôt atterrir au Somaliland - la partie nord de la Somalie, qui s'est déclarée indépendante, mais qui n'est reconnue que par l'Allemagne.

Le Canada ne veut cependant pas y faire atterrir son avion, de crainte que l'appareil ne soit saisi.

Risques de fuite limités

Devant son refus de signer le document, Fouad Jama Rabi a été envoyé au centre de détention de Rivière-des-Prairies, où il a passé l'automne.

En 1989, sa demande d'asile a été rejetée. Il a bien obtenu des permis de travail par le passé, mais son avocat, Stéphane Handfield, doute qu'il en ait de nouveau, en raison de sérieux problèmes cardiaques.

Hier, la commissaire à l'immigration et au statut de réfugié du Canada a cassé les décisions de ses prédécesseurs et a mis M. Jama Rabi en liberté. Selon elle, le fait qu'il s'est lui-même présenté aux autorités porte à croire que ses risques de fuite sont limités.

Certes, son dossier est plutôt volumineux. En 1989, il a franchi la frontière canado-américaine à pied, en clandestin. Il a déjà fait l'objet de trois mandats d'arrêt et a été introuvable pendant six ans. Son dossier fait aussi état d'une agression armée en 1997 - des événements que Fouad Jama Rabi attribue à une profonde dépression qui l'a amené à «prendre des substances toxiques». «Et j'ai payé pour cela», a-t-il dit, en faisant allusion à ses problèmes cardiaques.

La commissaire a surtout retenu que Fouad Jama Rabi habite depuis 2009 à la même adresse - un établissement subventionné pour personnes démunies.

De plus, a-t-elle relevé, «le gouvernement n'a pas essayé de voir s'il y avait une possibilité par voie diplomatique [de procéder à l'expulsion]» en continuant d'insister pour que le document exigé de Mogadiscio soit signé.

«Il y a donc impasse, impasse qui pourrait durer plusieurs mois», a reconnu la commissaire Tordorf avant de libérer M. Jama Rabi sous condition.

Petite victoire, donc, pour celui qui, faute de retourner là où il veut aller, le Somaliland, se retrouve néanmoins toujours dans un «no man's land».

Parmi les conditions de mise en liberté, Fouad Jama Rabi doit tenter de parler à des représentants du Somaliland qui se trouvent aux États-Unis. «Peut-être parviendrai-je à partir par Djibouti?», se demande-t-il.

«Je ne veux pas rester ici. Ça fait 23 ans que je suis dans la merde. Au Canada, je n'ai rien, sinon quelques personnes gentilles autour de moi. Mais bon, aujourd'hui, c'est une bonne journée. Demain? C'est un autre jour.»