Dans son enthousiasme à célébrer le 200e anniversaire de la guerre de 1812, le gouvernement Harper semble avoir presque oublié une autre date importante: le 175e anniversaire des rébellions des Patriotes.

Pourtant, même si le drapeau des Patriotes est souvent associé au mouvement souverainiste, les luttes menées en 1837 et en 1838 dans ce qui est aujourd'hui l'Ontario et le Québec visaient l'obtention d'un gouvernement responsable par des francophones et des anglophones. Elles ont d'ailleurs marqué un jalon important dans le développement du Canada démocratique actuel, selon des politiciens et des historiens.

«Le fait dominant du XIXe siècle, ce n'est pas la défense du territoire comme en 1812, estime Pierre Anctil, professeur d'histoire à l'Université d'Ottawa. C'est la montée vers le gouvernement responsable. C'est ça que le gouvernement canadien devrait vraiment célébrer.»

Le budget accordé à la guerre de 1812 par le gouvernement Harper pourrait atteindre 70 millions de dollars, selon des évaluations qui ont circulé il y a quelques mois. À lui seul, le ministère du Patrimoine affirme avoir dépensé 28 millions.

Or, jusqu'à maintenant, ce même ministère a accordé moins de 225 000$ pour commémorer les rébellions du Haut-Canada et du Bas-Canada. Cette somme inclut deux subventions. Une première subvention de 114 000$ a permis l'aménagement du nouveau parc Louis-Joseph-Papineau à Saint-Denis-sur-Richelieu, lieu de la bataille historique entre les 200 Patriotes du Dr Wolfred Nelson et les soldats du général britannique Charles Gore. Une statue de Papineau y a d'ailleurs été inaugurée la fin de semaine dernière, en présence de plusieurs ténors du mouvement souverainiste.

Une seconde subvention, de 109 000$, a été accordée aux «Festivités 2012 à Saint-Eustache», mais pour deux anniversaires: le 175e anniversaire des rébellions et le 250e du moulin Légaré.

Les sommes dépensées jusqu'ici pour commémorer les rébellions des Patriotes pourraient donc représenter moins de 1% de ce qui devrait être accordé pour la guerre de 1812. Et Ottawa ne semble pas sur le point de prendre d'initiative pour combler l'écart: «S'il y a des gens qui souhaitent présenter des projets, on les invite à le faire», a indiqué Sébastien Gariépy, porte-parole du ministre du Patrimoine, James Moore.

Occasion manquée

Des experts et des politiciens interrogés par La Presse estiment qu'il s'agit à la fois d'un choix douteux et d'une occasion manquée par le gouvernement Harper.

«La chose à célébrer, c'est effectivement la bataille pour la démocratie. S'ils ratent cet événement-là ou s'ils le font de façon si discrète, c'est déplorable», a affirmé le député libéral Stéphane Dion.

Selon l'historien Pierre Anctil, la différence de traitement entre ces deux faits historiques est même bizarre. «En faisant l'apologie de 1812 et du système de pouvoir et militaire en place, on veut illustrer des faits d'armes d'un système qui va se retourner contre les Canadiens en 1837-1838 pour tenter d'empêcher le Canada d'accéder à la démocratie. Ce n'est quand même pas rien!», explique-t-il.

À l'époque, tandis que les Papineau, Chénier ou Nelson dirigeaient leurs hommes au Bas-Canada, dans le Haut-Canada, William Lyon Mackenzie, grand-père du futur premier ministre Mackenzie King, dirigeait les siens pour lutter contre l'oligarchie locale, le family compact. «C'est l'ensemble du Canada, autant le Haut que le Bas, qui était en quête d'un gouvernement responsable», dit le professeur Anctil.

Des sources au gouvernement ont fait valoir qu'il était normal de célébrer davantage un 200e anniversaire qu'un 175e anniversaire.

Mais le député du Bloc québécois Louis Plamondon a une autre explication. «Ce qui les fatigue le plus, c'est que le mouvement des Patriotes était en opposition à l'Angleterre, a-t-il noté. Alors qu'eux, cette année, ils l'ont consacrée à l'Angleterre, au point de même faire des ambassades communes.»

«Je suis pas mal certain qu'ils auraient aimé mieux que les Patriotes arrivent l'année prochaine.»