Pendant que le plus important rappel de viande de l'histoire canadienne s'est encore élargi, l'opposition a réclamé hier la démission du ministre fédéral de l'Agriculture, Gerry Ritz. Et l'entreprise à l'origine du branle-bas a admis que ses contrôles de salubrité étaient insuffisants.

Dans la nuit de mercredi à hier, l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) a de nouveau élargi le rappel de produits de boeuf cru potentiellement contaminés par la bactérie E. coli 0157: H7. Certains sont offerts au Québec, comme le «tendre petit rosbif d'épaule désossé assaisonné» vendu chez Walmart ou les petits filets de boeuf «Stampede fumé» ou aux épices «style Montréal» de marque Le Choix du président.

Ces produits s'ajoutent aux 1500 qui ont déjà fait l'objet de rappels. Tant les grandes bannières (Metro, Provigo-Loblaws, Sobeys-IGA) que les petites épiceries, boucheries et restaurants sont touchés. Au total, près de 700 tonnes de boeuf ont été visées par le rappel.

Après trois jours d'absence de la Chambre des communes, le ministre de l'Agriculture, Gerry Ritz, n'a esquivé aucune question sur la crise, hier. Il a dit s'attendre à ce que d'autres rappels suivent dans les prochains jours, et a défendu la manière dont son gouvernement a géré la crise.

«Lorsque vous regardez la chronologie des événements, vous verrez que nous avons agi de la manière la plus rapide et responsable possible, à mesure que l'information devenait disponible, qu'elle vienne de l'usine, de la Santé publique, de l'Alberta ou du niveau national», a affirmé le ministre Ritz.

Il précise que l'établissement albertain de XL Foods, l'un des trois plus grands abattoirs du Canada, restera fermé jusqu'à ce que l'ACIA lui certifie par écrit qu'il est sûr.

Les partis de l'opposition reprochent au gouvernement conservateur d'avoir caché la présence d'E. coli dans du boeuf de XL Foods pendant près de deux semaines. Ils soulignent que l'ACIA a empêché l'entreprise d'exporter ses produits aux États-Unis avant même que les Canadiens soient informés du problème. Et ce n'est que le 27 septembre - trois semaines après la découverte initiale de la bactérie - que l'abattoir a finalement été fermé.

Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a réclamé hier la démission du ministre Ritz, qu'il tient responsable de cette situation.

«Le gouvernement savait que XL Foods n'avait pas de système en place pour dépister et retracer la bactérie E. coli, et le ministre de l'Agriculture le savait, a dénoncé le chef néo-démocrate, Thomas Mulcair. Même après que l'alerte pour E. coli a été donnée par le gouvernement américain, XL Foods continuait de cacher des informations vitales sur la salubrité des installations. Pourquoi le ministre de l'Agriculture a-t-il caché à la population ces informations sur le boeuf contaminé?»

Le NPD souligne que près d'une semaine s'est écoulée entre le moment où la bactérie a été détectée pour la première fois, le 4 septembre, et le moment où XL Foods a remis à l'ACIA des renseignements sur la distribution de ses produits.

Ce délai est «inacceptable», a reconnu le ministre Ritz. Il a cependant souligné qu'une loi à l'étude par le Parlement permettrait à l'ACIA d'imposer des délais plus courts à des entreprises dans des cas comme celui-ci.

Mais le chef libéral, Bob Rae, accuse le gouvernement Harper de se cacher derrière l'ACIA pour masquer sa propre inaction.

«C'est clair que le gouvernement est en train de blâmer l'Agence, mais le problème pour le ministre, c'est qu'il était au courant et informé de chacune des actions de l'Agence, a-t-il dit. Il me semble qu'il doit partager la responsabilité avec l'Agence pour les délais qu'on voit.»

Les libéraux ont demandé hier au vérificateur général d'enquêter.

Lacunes

L'ACIA a détecté plusieurs «lacunes» dans la manière dont XL Foods contrôlait la salubrité des carcasses de boeuf dans ses installations (voir graphique). Certains équipements étaient endommagés. Un constat que n'a pas nié l'entreprise, qui a publié une déclaration après plusieurs jours de silence.

«Nous croyions que XL Foods était un leader dans l'industrie de la transformation du boeuf avec nos protocoles de sécurité des aliments, mais nous avons appris que ce n'était pas suffisant, a indiqué l'entreprise dans une déclaration. Nous assumons l'entière responsabilité des opérations de notre établissement et de la nourriture qui y est produite, qui est consommée par des Canadiens d'est en ouest.»

La société albertaine a promis d'adopter une série de mesures pour resserrer la salubrité de ses installations (voir autre texte).

Quatre victimes

Les autorités fédérales ont confirmé quatre cas de maladie liés à la consommation de boeuf provenant de XL Foods. D'autres cas sont soupçonnés, notamment en Saskatchewan. Personne n'est mort de la maladie, mais un recours collectif de victimes serait en préparation.

Il est à noter qu'à peine 23% du boeuf mangé au Québec en 2010 était québécois, selon le ministère de l'Agriculture (MAPAQ). Le reste provenait à 7% de l'étranger et à 70% d'autres provinces canadiennes ou de pays étrangers après être passé par l'une de ces provinces.

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Chronologie de l'enquête sur XL Foods

4 septembre: L'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) et les autorités américaines détectent la présence de la bactérie E. coli 0157: H7 dans deux échantillons de boeuf de l'usine XL Foods, de Brooks, en Alberta. Une enquête est ouverte par l'ACIA, qui demande à XL Foods de prendre des mesures correctives le lendemain. La population n'est pas avisée.

6-7 septembre: L'ACIA réclame des renseignements sur les résultats d'analyse de XL Foods, qui ne les remet que les 10-11 septembre.

12 septembre: Les autorités américaines détectent deux autres cas de contamination dans du boeuf de XL Foods. L'ACIA envoie une équipe d'experts techniques à l'usine pour «évaluer où et comment il y a eu contamination».

13-16 septembre: XL Foods perd le droit d'exporter aux États-Unis. L'ACIA conclut qu'«une combinaison de lacunes» à l'usine XL Foods a mené à la contamination par la bactérie E. coli. Première alerte avisant la population de ne pas manger le boeuf haché produit par XL Foods lancée le 16 septembre.

17 septembre: L'ACIA active son «Centre national des opérations d'urgence» et rappelle davantage de boeuf. D'autres rappels suivront les 18, 19, 20, 21, 22, 25, 27, 28, 29, 30 septembre et les 1er et 3 octobre.

24 septembre: La bactérie E. coli est détectée dans du boeuf de XL Foods en Californie.

25 septembre: C'est confirmé: quatre personnes ont été infectées par des biftecks achetés dans un Costco d'Edmonton. Des biftecks sont rappelés.

27 septembre: Le permis de l'usine est suspendu, parce qu'elle n'a «pas présenté un plan acceptable pour régler le problème à long terme», dit l'ACIA.

28-29 septembre: XL Foods soumet un nouveau plan de mesures correctrices à l'ACIA, qui l'accepte le lendemain.

2 octobre: L'ACIA commence à «surveiller l'application par l'entreprise des mesures correctrices exigées».