Le gouvernement conservateur est allé de l'avant avec la destruction du registre des armes d'épaule en dépit de l'avis de ses propres fonctionnaires le prévenant qu'il violerait ainsi ses obligations internationales.

Un document d'information confidentiel destiné au cabinet Harper avertit que le Canada contreviendrait aux traités internationaux qu'il a signés en mettant fin à son registre.

«En l'absence d'un enregistrement universel, le Canada serait tenu d'adopter une solution de rechange pour la tenue de registres», peut-on lire dans la note classée secrète obtenue par La Presse Canadienne en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Le gouvernement fédéral a malgré cet avis gardé le cap avec sa loi abolissant le registre des armes longues, C-19 ayant obtenu la sanction royale de 5 avril dernier.

«Le gouvernement a choisi d'ignorer ce conseil», a déploré l'expert spécialisé en trafic international des armes, Kenneth Epps.

«Le fait que le gouvernement a choisi d'aller de l'avant malgré tout m'indique qu'il est plus important pour lui de plaire au lobby des armes que de respecter ses engagements internationaux», a déploré ce chercheur de l'organisme Project Ploughshares.

Le Canada est signataire du Protocole des Nations unies sur les armes à feu qui requiert que le pays «assure la conservation, pendant au moins dix ans, des informations sur les armes à feu (...) qui sont nécessaires pour assurer le traçage et l'identification».

Ottawa n'a pas encore ratifié le Protocole, mais sa signature est perçue en droit international comme un engagement ferme envers les principes de l'entente. Le registre national, avant son abolition, permettait au Canada de satisfaire aux exigences du Protocole de l'ONU, ainsi qu'à celles d'un autre accord de l'Organisation des États américains sur le même sujet.

Direction opposée

Au bureau du ministre de la Sécurité publique Vic Toews, on persiste à répéter que la destruction des données n'affectera pas les engagements du Canada à l'étranger.

«L'abolition du registre des armes d'épaule n'a pas d'impact sur notre capacité à nous conformer à nos obligations internationales. Le registre des armes d'épaule n'a jamais empêché un seul crime ni sauvé une seule vie», a écrit la directrice des communications du ministre Toews, Julie Carmichael, dans un courriel.

Mais l'opposition officielle soutient que le gouvernement conservateur s'éloigne dans les faits encore davantage de ses engagements internationaux avec l'annonce récente d'une autre réglementation. Cette nouvelle mesure fait en sorte que les commerçants ne sont plus tenus de recueillir et conserver des données permettant d'identifier un propriétaire d'arme.

«Plutôt que de concevoir une nouvelle façon de respecter ses obligations, le gouvernement va dans la direction opposée en retirant l'obligation pour les vendeurs d'armes de conserver leurs dossiers», s'est désolé le député néo-démocrate Randall Garrison.

Kenneth Epps abonde en ce sens en déplorant l'abandon de ces «livres verts» qui offraient à la police un outil de plus pour retracer les auteurs d'un crime avec une arme à feu. «Ces livres verts étaient la dernière possibilité pour une quelconque forme d'enregistrement qui aurait été viable pour retracer des armes», a-t-il indiqué.

La porte-parole du regroupement Polysesouvient et témoin de la tuerie de Polytechnique, Heidi Rathjen, croit que cette réglementation passée en douce juste avant la relâche d'été aura un effet néfaste sur la sécurité au pays.

«C'est un outil qui servait à s'assurer que les marchands d'armes ne détournent pas les armes vers le marché noir. (...) Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les chefs de police».

Injonction au Québec

Le gouvernement de Stephen Harper a le feu vert pour détruire à jamais toutes les données du registre, sauf celles du Québec, où une injonction temporaire l'en empêche. Québec espère récupérer les données qui le concernent et traîne pour ce faire le fédéral devant les tribunaux.

La Cour supérieure pourrait rendre une décision à la fin de l'été, mais d'ici là, les données du registre sont maintenues.

Le registre des armes à feu avait était mis sur pied à grands frais par l'ancien gouvernement libéral, et les conservateurs en promettaient la destruction depuis longtemps.

Fort de sa majorité, Stephen Harper y est finalement parvenu ce printemps, non sans les virulentes critiques de l'opposition, des groupes de victimes et des associations de policiers.