Ébranlé jusque dans ses fondations après le tsunami du 2 mai 2011, le Bloc québécois se reconstruit. Sur la colline d'Ottawa, André Bellavance, Maria Mourani, Jean-François Fortin et Louis Plamondon, rescapés de la vague orange, rappellent que le Bloc n'a pas dit son dernier mot. Dans les régions, le chef Daniel Paillé veut relancer la machine du Bloc. Leur objectif: revenir en force en 2015.

Qu'est-ce qui a changé après le 2 mai?

Parce qu'une image vaut mille mots, André Bellavance, leader parlementaire du Bloc québécois, veut nous amener jusque dans l'antichambre de la Chambre des communes.

Tous les élus de l'opposition se retrouvent dans ce salon, officiel et officieux, avant ou après la période de questions.

Chaque parti y a sa place, et jusqu'au 2 mai, les troupes bloquistes occupaient une cinquantaine de chaises.

Jamais ils n'auraient pensé devoir se battre pour leurs sièges.

C'est pourtant ce que les quatre survivants de la vague orange ont dû faire, aux côtés de l'écologiste Elizabeth May, pour obtenir cinq chaises au lieu des trois qui leur avaient été réservées.

Un «feuilleton» qui s'est dénoué grâce aux libéraux.

Le noyau bloquiste se tient maintenant près du placard: c'est une petite victoire.

«On a quatre chaises, pas de table, mais on est dans l'antichambre», dit André Bellavance en souriant.

***

«On ne s'attendait pas à avoir des cadeaux, et personne ne nous en a fait», constate André Bellavance.

Député de Richmond depuis 2004, il connaît les us et coutumes de la colline parlementaire. Il a été l'adjoint parlementaire du bloquiste Pierre Paquette pendant trois ans.

Les premières semaines de son nouveau mandat ont été consacrées à livrer des batailles très pratiques, mais hautement symboliques.

La première bataille: s'assurer que les députés bloquistes soient reconnus comme membres d'un parti, et non comme indépendants.

«On avait le choix: on longeait les murs, ou on rentrait la tête haute. Il ne fallait pas attendre d'être reconnus, il fallait passer à l'attaque.»

«On n'a pas été élus comme indépendants. On sait qu'on a perdu des droits, mais on a dû s'assurer d'être assis tous les quatre ensemble [dans la Chambre], ramener le nom de notre parti à côté de nos noms. De facto, on leur a entré dans la gorge qu'on était le Bloc québécois», dit M. Bellavance.

Ensuite, il fallait s'assurer d'avoir le droit de poser une question au gouvernement.

«On était à la merci de ce que les autres partis allaient décider, dit-il. Ironiquement, les libéraux sont plus civilisés que le Nouveau Parti démocratique (NPD). Au début, leur tête ne passait plus par la porte.»

Les recrues néo-démocrates ont dû s'ajuster aux rites parlementaires. Et apprendre à ne pas poursuivre, hors de la Chambre des communes, de véhéments débats.

«Arriver avec des gens qui vous courent après dans les couloirs, je n'avais jamais vu ça. En Chambre, il y a des débats, en campagne aussi. Mais dans les couloirs, jamais. Ici, on est entre collègues, et il y a un respect qui s'impose, explique M. Bellavance. Ils ont mis un certain temps avant de s'acclimater.»

***

Être relégué à un banc arrière de la Chambre des communes n'a pas manqué de faire sourire Louis Plamondon. Le député du Bas-Richelieu a retrouvé le siège qu'il occupait en 1990, quand s'est formé le Bloc autour de Lucien Bouchard.

«Je me suis dit: mon Dieu! l'histoire se répète. Évidemment, ç'a été un choc, dit celui qui a plus de 29 années de politique au compteur. Mais on avait réussi à sortir la tête de l'eau pendant trois ans et demi. Et là, vous voyez, il y a déjà un an de fait!»

En attendant un nouveau brassage de cartes, les députés bloquistes poursuivent leur travail, avec des moyens plus modestes.

En perdant ses collaborateurs et son équipe de recherche, le Bloc doit choisir ses dossiers et ses attaques.

«On est chanceux, on a pu récupérer les bonnes personnes, explique M. Bellavance. C'est sûr qu'on ne peut plus faire comme avant, quand le cabinet de Gilles Duceppe arrivait, faisait ses demandes et que les équipes de recherche se mettaient là-dessus. Il faut faire un ordre de priorité. Mais ça se fait. On ne va pas se mettre la tête dans le sable: on est 4 élus, on n'a pas besoin de 150 employés.»

Les députés pourraient négliger la colline et se concentrer sur la vie de leurs circonscriptions. Mais le Bloc veut continuer à occuper le terrain à Ottawa.

«On a établi qu'on a notre mot à dire. On n'a pas le contrôle sur ce que les médias disent ou font, mais on se démarque. On continue à exister. On parle du Québec ici, et en même temps, on fait notre travail de reconstruction.»

***

Le siège de Daniel Paillé a été emporté dans la vague orange, mais l'ancien député d'Hochelaga et nouveau chef du Bloc québécois continue à aller à Ottawa.

Dans les couloirs du parlement, les gardes l'appellent par son prénom.

Chaque semaine, il assiste au caucus de son parti, suit les périodes de questions, participe aux mêlées de presse.

«Mon travail, c'est d'être là, dit Daniel Paillé. Notre engagement, c'est de vivre selon nos moyens, pour 2012, 2013 et 2014.»

Les élections de 2015 sont la ligne d'horizon du Bloc.

Depuis qu'il a succédé à Gilles Duceppe, Daniel Paillé prend le pouls du parti, dans les régions, et assiste aux assemblées générales des instances locales du Bloc. Le militantisme bloquiste n'a jamais vacillé, dit-il.

À Drummondville, après le raz-de-marée néo-démocrate, le mot d'un militant a requinqué le chef: il lui a souligné que 71 candidats aux élections fédérales avaient peut-être perdu, mais que les militants, eux, étaient toujours là.

Dans ses déplacements en région, Daniel Paillé noue le dialogue avec les militants, mais aussi avec la presse locale et les réseaux communautaires. Il laisse carte blanche aux dirigeants locaux pour décider, pour lui, des activités et des rencontres qu'il doit faire.

Le nouveau chef du Bloc se montre décidé, et préfère voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide.

Il n'est pas élu, certes, mais il est libre de passer tout le temps qu'il lui faut en région.

«On a l'avantage de l'inconvénient, estime-t-il. Je suis présent, et j'ai l'avantage de pouvoir être partout, sans me limiter à une circonscription. J'aurais aimé être élu, c'est sûr. Mais je peux faire le tour du Québec pendant un an.»

Le nouveau chef du Bloc se laisse trois ans pour se faire connaître des électeurs québécois. Et remettre ses troupes en route vers Ottawa.

«Je vais revenir, assure-t-il. Quand? Je ne le sais pas.»

***

Dans un coin du bureau de Thierry St-Cyr à L'Île-des-Soeurs, les pancartes ornées de son visage s'entassent. M. St-Cyr a l'habitude de voir son visage dans les rues: il a mené quatre batailles électorales dans Jeanne-Le Ber, a essuyé deux victoires et deux défaites, avant de devenir... courtier immobilier.

«C'est une amélioration de la qualité de vie», dit en riant ce père de famille de 35 ans.

Ingénieur de formation, et talent précoce de la politique, Thierry St-Cyr a lui aussi reçu l'effet Jack Layton en plein visage. Il a perdu sa circonscription chèrement prise aux libéraux aux mains d'un nouveau venu dans Jeanne-le-Ber, Tyrone Benskin.

«Ce candidat n'a pas été choisi pour gagner. Il parle à peine français, il connaît peu la circonscription, il a peu de racines au Québec», explique-t-il.

Durant sa campagne, Thierry St-Cyr surveillait de près son adversaire libéral. Il a péché par excès de candeur, et n'a réalisé l'ampleur de la vague orange qu'au dernier moment.

«D'un point de vue rationnel, on ne le prend pas personnel. D'un point de vue émotif, on le prend mal. Puis on se dit que c'est un mal pour un bien», dit-il.

Une fois le rouleau compresseur passé, Thierry St-Cyr est rapidement retombé sur ses pieds, et s'est tourné vers le métier de courtier. Par amour des gens, par souci du service, par soif du contact.

«Je me voyais mal retourner dans un bureau, avoir un cercle limité à mon travail. Je voulais rencontrer des gens et être courtier répond à ce besoin», dit-il.

Si on peut sortir Thierry St-Cyr de la politique, on ne peut pas sortir la politique de l'ancien député. Il se montre presque lyrique quand il évoque un futur pays, le Québec. Il continue à s'engager au Bloc québécois et à participer aux activités de sa circonscription. Il assure qu'il n'a «pas de plan» pour son avenir en politique.

«Je n'ai pas pris de décision. Je ne peux pas dire que la politique, c'est fini, je n'ai pas fait ce choix», dit-il.

Quel que soit son avenir, il est convaincu que le NPD est un phénomène éphémère au Québec, et que le Bloc reviendra.

«Essayer des choses, c'est plaisant. Mais quatre ans, c'est long, dit-il. Au Québec, la meilleure machine électorale, ça reste le Bloc. Ce n'est ni le NPD ni le Parti conservateur, mais le Bloc.»