Dans une semaine, les membres du Nouveau Parti démocratique éliront le successeur de Jack Layton. Qui, des sept candidats, tirera son épingle du jeu? Portrait des principaux joueurs de cette course, à un poil de la ligne d'arrivée.

C'est bien beau, avoir un as dans sa main, mais tout joueur de poker dira qu'il faut une combinaison de cartes pour rafler la mise. Thomas Mulcair semble s'être forgé une avance sur ses six adversaires dans la dernière ligne droite de la course à la direction du Nouveau Parti démocratique (NPD). Mais ses poursuivants ne manquent pas d'atouts. Et certains pourraient bien brouiller les cartes au moment du congrès, samedi prochain.

Même chez des adversaires de Thomas Mulcair, on concède que le député d'Outremont remportera le premier tour du scrutin, samedi prochain. Mais comme l'élection de Stéphane Dion au congrès du Parti libéral l'a démontré, en 2006, rien n'est acquis dans un système de vote à plusieurs tours.

«La vraie course se fait pour la deuxième place, pour essayer d'être celui ou celle qui pourra rallier les gens qui sont opposés à Mulcair, s'il y a effectivement un tel sentiment», explique un néo-démocrate.

Samedi prochain, le NPD dévoilera qui, de Thomas Mulcair, Brian Topp, Peggy Nash, Paul Dewar, Nathan Cullen, Niki Ashton ou Martin Singh, a obtenu le plus d'appuis chez les militants du parti. Or, une majorité simple ne suffit pas: le vainqueur doit amasser plus de 50% des votes.

Au terme du premier tour, donc, on éliminera le candidat qui a terminé dernier. Celui-ci pourra inciter ses partisans à appuyer un autre candidat. Les membres voteront de nouveau, au congrès ou sur l'internet.

Les tours de scrutin se succéderont jusqu'à ce qu'un candidat ait atteint le chiffre magique de 50% des votes.

Voici les forces en présence.



Thomas Mulcair

Principaux appuis: 43 députés surtout au Québec, Mike Harcourt, ancien premier ministre de la Colombie-Britannique, Ed Schreyer, ancien premier ministre du Manitoba, Charles Taylor, chercheur, Julius Grey, avocat.

Dons amassés: 226 445,44$

Il jouit de l'appui d'une quarantaine de députés, plus que n'importe lequel de ses adversaires. Il a amassé plus d'argent et fait désormais figure de grand favori dans la course. Mais Thomas Mulcair ne fait pas l'unanimité pour autant au sein du NPD.

M. Mulcair est devenu le deuxième néo-démocrate à gagner un siège au Québec, en 2007, dans Outremont. Si le parti a transformé cette percée en vague orange aux dernières élections, soutient-il, c'est parce qu'il a su adapter son discours à l'auditoire québécois.

«Je ne cherche pas à remplacer Jack Layton, je cherche à lui succéder, dit-il. Je vais continuer dans la même direction que lui, je veux bâtir sur ce qu'on a construit ensemble.»

Le candidat souhaite appliquer la même recette au reste du pays. Il veut «rafraîchir» le discours du NPD pour rejoindre des électeurs au-delà de sa base traditionnelle.

«Ça fait quatre élections générales qu'on ne fait élire personne en Saskatchewan, illustre M. Mulcair. Ils disent que la définition de la folie, c'est de croire que tu peux obtenir un autre résultat en répétant exactement les mêmes gestes.»

Sa volonté de rapprocher le parti du centre fait grincer des dents dans un parti qui se targue d'être la «conscience du Parlement». Plusieurs figures de proue de la formation se sont rangées derrière Brian Topp. D'autres craignent que M. Mulcair soit trop bouillant, trop individualiste, pour rassembler ses troupes s'il gagne.

Ancien ministre de l'Environnement, M. Mulcair se démarque en étant favorable à l'exploitation des sables bitumineux. Il souhaite qu'un marché du carbone impose une valeur aux émissions de gaz à effet de serre, et il veut mettre fin aux subventions accordées aux sociétés pétrolières.

Sa position en faveur d'Israël dans le conflit au Moyen-Orient le distingue également de ses adversaires.

Le Soleil, Steve Deschênes

Thomas Mulcair

Brian Topp

Principaux appuis : Roy Romanow, Lorne Calvert, anciens premiers ministres de la Saskatchewan, Ed Broadbent, ancien chef du NPD, 11 députés, dont Françoise Boivin et Alexandre Boulerice

Dons amassés: 192 988,98$

À en juger par sa prestigieuse liste d'appuis, Brian Topp est manifestement le choix de la gentry du NPD. Il est soutenu par Roy Romanow, Ed Broadbent et l'autre lieutenant de Jack Layton, la députée vancouvéroise Libby Davies, qui est associée à l'aile gauche du parti.

Devant un Thomas Mulcair qui veut tirer le NPD vers le centre, Brian Topp oppose un programme résolument social-démocrate. Il souhaite hausser l'impôt des citoyens qui gagnent plus de 250 000$ par année, taxer davantage les grandes entreprises et créer une Bourse du carbone.

Plus que tout autre candidat dans la course, le natif de Longueuil a critiqué la «modernisation» du parti proposée par Thomas Mulcair. Son projet va «distraire» et «diviser» les néo-démocrates, lui a-t-il reproché.

M. Topp martèle depuis des semaines que, si les Canadiens doivent choisir entre deux versions du Parti libéral aux prochaines élections, ils vont voter pour l'original.

«Cette idée qu'on a besoin de trouver un langage, un ton, que l'électorat dans le main-stream est capable d'entendre et de le trouver cohérent et acceptable, on la comprend très bien, explique M. Topp. Mais cela ne veut pas dire qu'on a besoin de devenir libéraux pour gagner.»

Brian Topp n'est pas élu, mais il gravite dans le milieu politique depuis plus de 30 ans. Il a travaillé dans le gouvernement Romanow en Saskatchewan, organisé la campagne du NPD en 2006 et en 2008. Il a également été délégué par Jack Layton pour négocier la formation d'un gouvernement de coalition lors de la crise parlementaire à la fin de 2008.

Pour propulser le NPD à la tête du pays, il compte proposer des suggestions concrètes au lieu de se contenter de critiquer le gouvernement Harper.

Le Soleil, Steve Deschênes

Brian Topp

Peggy Nash

Principaux appuis : 9 députés dont les Québécoises Marjolaine Boutin-Sweet et Laurin Liu, Pierre Ducasse,

ancien conseiller pour le Québec de Jack Layton, Ken Lewenza, président du syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile.

Dons amassés: 167 135,54$

Forte de l'appui de plusieurs personnalités du milieu syndical, base traditionnelle du NPD, Peggy Nash a de réelles chances de l'emporter le 24 mars, selon plusieurs observateurs. Elle se présente comme la gardienne des valeurs sociales-démocrates du parti.

La députée de Parkdale-High Park, à Toronto, soutient que la formation s'est modernisée sous Jack Layton. Le défunt chef a modifié la structure du parti, raffiné ses activités, et recruté de nouveaux candidats. Elle soutient que le parti doit rester lui-même en défendant la justice sociale, la paix et la protection de l'environnement.

«Ce que je veux assurer, c'est qu'on n'abandonne pas nos valeurs, résume-t-elle. Parce que nos valeurs sont une force, pas une faiblesse.»

Issue du milieu syndical, Mme Nash était porte-parole du NPD en matière de finances. Si elle est élue, elle compte attaquer le gouvernement de front sur un enjeu dont il s'est fait le champion au cours des dernières années: l'économie.

Mme Nash est soutenue par Pierre Ducasse, architecte de la déclaration de Sherbrooke, en vertu de laquelle le NPD s'engage à reconnaître un référendum sur l'indépendance même en cas de résultat serré. Plusieurs estiment que ce document a contribué au succès du NPD au Québec.

«Il faut absolument respecter la culture, l'histoire et les institutions québécoises et défendre la langue française, dit-elle. C'est primordial. Il faut respecter les décisions des Québécois selon leurs compétences provinciales.»

Elle a toutefois été critiquée pour son flou sur la position qu'un éventuel gouvernement néo-démocrate adopterait devant une province qui souhaite imposer un ticket modérateur dans son réseau de la santé. Elle a dû publier un communiqué pour clarifier sa position.

Photo La Presse Canadienne

Peggy Nash

Paul Dewar

Principaux appuis : 8 députés dont Christine Moore, Charlie Angus, Maher Arar, militant des droits de la personne, Stan Struthers, ministre des Finances du Manitoba.

Dons amassés: 159 500,83$

Le député d'Ottawa-Centre a été durement critiqué pendant la campagne, car il est le seul prétendant au leadership du NPD qui ne parle pas couramment le français. Mais le principal intéressé jure qu'il travaille d'arrache-pied pour s'améliorer. Et sa campagne a semblé prendre de l'élan au cours des dernières semaines.

«Pour moi, c'est continuer d'améliorer mon français, résume M. Dewar, dans un français compréhensible. Mais l'autre côté de cette chose, c'est le contact avec les gens du Québec. Pour moi, c'est absolument essentiel pour le prochain chef de s'engager avec l'électorat du Québec dans les différentes régions.»

S'il gagne la course, M. Dewar s'engage à entreprendre une tournée du Québec. Il souhaite aussi renforcer les organisations locales afin de consolider la percée historique du NPD dans la province.

Ancien porte-parole de son parti en matière d'affaires étrangères, M. Dewar souhaite revoir le rôle du Canada sur la scène internationale, rôle que le gouvernement Harper a changé au cours des dernières années.

«Investir dans la diplomatie, dans la coopération internationale et investir, retourner dans les missions des Casques bleus et éviter la guerre et la rhétorique de la guerre», résume-t-il.

M. Dewar jouit d'appuis importants en Ontario, où le parti compte près de 37 000 membres, ainsi qu'au Manitoba.

En matière d'économie, il souhaite que le gouvernement investisse dans le secteur manufacturier. De cette manière, le pays profitera davantage du boom des ressources naturelles, au lieu de simplement exporter son bois et son minerai.

«Pour moi, la priorité, c'est d'attaquer le problème du chômage et créer de bons emplois», dit-il.

Photo: Adrian Wyld, PC

Paul Dewar

Niki Ashton

Principaux appuis : 4 députés, Eric Robinson, vice-premier ministre du Manitoba.

Dons amassés: 36 430,44$

La candidate de 29 ans a fait l'objet de reportages élogieux au cours de la campagne, mais rares sont ceux qui lui donnent une chance de gagner. Fille d'immigrants, elle parle quatre langues, termine un doctorat en résolution de conflits, et elle est la seule à se faire la porte-parole de la jeune génération. La course à la direction a permis à la députée manitobaine de se faire connaître dans tout le Canada. Une étoile en devenir, selon plusieurs.

Photo Reuters

Niki Ashton

Martin Singh

Principaux appuis:  aucun

Dons amassés: 56 689,76$

Le petit entrepreneur de la Nouvelle-Écosse est le seul candidat qui n'a décroché l'appui d'aucun député fédéral. En revanche, il s'est activé à recruter des milliers de nouveaux membres au sein des communautés culturelles. Et il a amassé près de 60 000$, signe d'une organisation efficace. Il a été perçu par plusieurs comme un missile téléguidé par Thomas Mulcair au cours des derniers débats, parce qu'il s'en est pris aux principaux adversaires de ce dernier. Il a d'ailleurs recommandé à ses partisans d'appuyer M. Mulcair au deuxième tour.

Photo: Fred Chartrand, PC

Martin Singh

Nathan Cullen

Principaux appuis: 3 députés, Brian Masse, Alex Atamenko et Fin Donnely, LeadNow.ca, Avaaz.

Dons amassés: 174 571,26$

Nathan Cullen était perçu comme un candidat marginal au début de la course. Mais son idée d'unir les forces progressistes pour défaire les conservateurs dans certaines circonscriptions semble avoir fait du chemin chez les militants. Et ses performances lors des débats en font le joker qui pourrait brouiller les cartes le jour du vote.

M. Cullen est le seul candidat qui propose un rapprochement avec le Parti libéral. Il suggère de tenir des nominations communes dans des circonscriptions contestées afin qu'un seul candidat de gauche affronte les conservateurs.

Cette proposition n'aurait pas d'impact majeur au Québec, puisqu'il ne souhaite pas proposer des nominations communes avec le Bloc québécois.

Sa prise de position lui a valu les critiques unanimes de ses adversaires dans la course. Mais bien des membres semblent y adhérer. Même le principal intéressé admet qu'il est «peut-être» surpris par l'envolée de sa campagne.

«Initialement, les gens disaient: "Il n'a aucune chance, l'idée est trop radicale, il n'a pas d'argent ni de nouveaux membres", relate M. Cullen. Mais maintenant, tout le monde réalise qu'il y a peut-être un groupe de progressistes dans le parti qui sont très excités par cette idée.»

L'étiquette de «joker» va comme un gant au candidat, qui a provoqué des éclats de rire pendant les débats. À la blague, il a attribué ce succès à son charme et à sa belle apparence.

Plus sérieusement, M. Cullen est le seul candidat de la Colombie-Britannique, province où le NPD compte le plus grand nombre de membres. Il est aussi le seul à avoir défait un conservateur pour gagner son siège, tous les autres ayant battu des libéraux.

Il fait aussi de l'environnement une haute priorité, lui dont la circonscription serait traversée par le pipeline Northern Gateway, qui doit acheminer le pétrole des sables bitumineux jusqu'au Pacifique.

- Avec la collaboration de Thomas de Lorimier

* Pour compiler les dons amassés, nous avons additionné les sommes déclarées à Élections Canada par chaque candidat. Ces totaux sont en date du jeudi 15 mars.

Photo PC

Nathan Cullen