Champagne! Les conservateurs peuvent désormais lever leur verre à l'abolition du registre des armes d'épaule, leur projet de loi ayant été adopté à 159 contre 130 en dernière lecture aux Communes, mercredi.

Si l'issue du vote n'a surpris personne - le gouvernement de Stephen Harper étant majoritaire - plusieurs ont cependant froncé les sourcils en apprenant qu'une réception était prévue à cet effet, une célébration que l'opposition et les groupes de victimes ont jugée de bien mauvais goût.

Les témoins et familles de la tuerie de l'École Polytechnique n'ont en effet pas du tout le coeur à la fête, accusant le gouvernement Harper de trahir les victimes d'actes criminels commis par une arme à feu.

Mercredi matin, trois conservateurs ont tenu une conférence de presse, quelques heures avant le vote en dernière lecture aux Communes du projet de loi C-19 abolissant le registre des armes longues. Derrière eux, une image représentait la silhouette de deux chasseurs de dos dans un champ, fusil à la main. L'un deux, plus petit que l'autre, semblait être un enfant.

C'est à ce moment que le ministre d'État Maxime Bernier a confirmé officiellement qu'une fête était bien prévue.

«Des collègues à moi et certains membres du Parlement ont décidé de se rencontrer pour souligner l'événement (...). C'est des gens qui ont travaillé depuis plusieurs années pour l'abolition de ce registre-là», a admis M. Bernier.

«Certainement que si le temps me le permet, je vais aller faire un tour pour les rencontrer», a-t-il ajouté.

Heidi Rathjen, de Polysesouvient, a qualifié cette fête «d'obscène», car l'abolition du registre se traduira inévitablement par plus de victimes dans l'avenir, à son avis.

«Je crois que c'est comme s'ils dansaient sur les tombes des victimes d'armes à feu, non seulement celles qui ont payé de leur vie pour mettre en lumière les lacunes de la loi qui existait dans le temps, mais aussi toutes les victimes futures», a-t-elle déploré en entrevue.

Le gouvernement du Québec, qui s'oppose au projet de loi, et surtout, à qui l'on refuse le transfert des données du registre pour qu'il mettre sur pied sa propre base de données, a jugé la célébration «inappropriée».

«Ils ont droit à leur opinion, mais je pense que personne n'a à se réjouir de l'adoption de ce projet de loi», a déclaré le ministre québécois de la Sécurité publique, Robert Dutil, lors de la période de questions à Québec.

La chef néo-démocrate Nycole Turmel et le leader libéral Bob Rae ont tous deux déploré la tenue de la réception, jugeant qu'il s'agissait là d'un manque de sensibilité flagrant à l'égard des victimes. Évoquant la mémoire des femmes tuées à Polytechnique et Dawson, la bloquiste Maria Mourani a demandé en Chambre à ce qu'elle soit annulée, sans succès.

Moment de la destruction

Le projet de loi prendra maintenant le chemin du Sénat, où il devrait être rapidement adopté, puisque les conservateurs y sont également majoritaires.

Après qu'il ait obtenu la sanction royale, le gouvernement a l'intention de détruire «aussi rapidement que possible» les données, malgré les demandes de Québec de les préserver pour lui.

Le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, a confié savoir parfaitement combien de temps cela prendra avant que les données soient détruites, mais il a refusé de partager cette information.

«Tout ce que je peux dire, c'est que nous nous sommes engagés à nous débarrasser du registre et cela inclut de disposer des données. C'est tout ce que je peux dire», a-t-il conclu.

Si Québec veut obtenir une injonction afin de suspendre la destruction des données, il devra donc faire très vite. La province assure de toute façon qu'elle a l'intention de s'adresser aux tribunaux dès que C-19 aura reçu la sanction royale.

La néo-démocrate Françoise Boivin a dit croire que le ministre Toews veut garder secrètes ses cartes en raison du bras de fer qui s'annonce avec la Belle Province.

«Il ne veut pas nécessairement dévoiler son jeu parce qu'il va peut-être y avoir un petit jeu juridique qui va s'installer entre le Québec et le fédéral. Alors, ça va être certainement à suivre», a soutenu Mme Boivin.

Bris de ligne de parti

Même si Nycole Turmel avait averti ses députés qu'il y aurait des conséquences pour ceux qui briseraient la ligne de parti lors du vote, deux députés néo-démocrates ont sorti des rangs afin de voter avec le gouvernement conservateur.

Les Ontariens John Rafferty et Bruce Hyer se sont levés avec les conservateurs pour voter en faveur de la destruction du registre, comme ils l'avaient d'ailleurs fait lors du vote en deuxième lecture.

Les conséquences qui ont suivi le bris de la ligne de parti en deuxième lecture seront donc prolongées. Ainsi, ces deux députés ne pourront pas poser de question en Chambre, obtenir un poste de porte-parole, siéger sur un comité ou encore faire de voyages. La durée de ces punitions n'est pas déterminée.