L'ancien chef du Bloc québécois Gilles Duceppe a payé le salaire du directeur général de son parti, Gilbert Gardner, pendant sept ans à même le budget accordé par la Chambre des communes pour le fonctionnement de son cabinet à Ottawa, a appris La Presse.

Cette pratique violerait les règles de la Chambre des communes puisque les fonds qu'elle accorde aux élus doivent être utilisés pour financer les activités parlementaires et non pas des activités partisanes. Les autres formations politiques ont confirmé à La Presse que leur directeur général respectif est payé par des fonds du parti et non à même des sommes provenant de la Chambre des communes.

M. Gardner, qui travaillait au quartier général du Bloc à Montréal et s'occupait essentiellement de la gestion et de l'organisation du parti, a été embauché en 2004 par M. Duceppe. Il a empoché un salaire annuel qui dépassait les 100 000$ dans les dernières années de son mandat.

Ce dossier pourrait être jugé suffisamment grave par le comité de régie interne des Communes, qui est responsable d'établir les règles d'utilisation des fonds publics par les députés, pour qu'il déclenche une enquête.

Ça doit être seulement pour des travaux parlementaires et non pas pour les travaux du parti», a expliqué hier le député du NPD Joe Comartin, l'un des porte-parole du puissant comité. Il a précisé qu'il étudiera le dossier et sollicitera l'avis des avocats de la Chambre des communes pour déterminer la suite des choses.

Il est possible qu'on ait une cause contre le député - dans ce cas-ci M. Duceppe - et qu'on le force à rembourser cet argent», a dit M. Comartin.

Payée pour écrire un livre?

La Presse a aussi appris que Marie-France Charbonneau, conjointe de l'ex-chef de cabinet de M. Duceppe, François Leblanc, était rémunérée par le bureau du leader bloquiste à titre de conseillère alors qu'elle poursuivait des études de maîtrise. Elle a en outre été rémunérée alors qu'elle écrivait un livre sur les 20 ans d'existence du Bloc québécois avec le professeur Guy Lachapelle, de l'Université Concordia. Cet ouvrage, intitulé Le Bloc québécois: 20 ans au nom du Québec, a été publié en 2010 et apparaît toujours sur le site web du Bloc québécois.

Marie-France Charbonneau était officiellement conseillère de Gilles Duceppe, mais elle mettait rarement les pieds à la Chambre des communes. On ne savait pas ce qu'elle faisait à part poursuivre sa maîtrise et écrire ce livre», a-t-on affirmé au Bloc québécois. Mme Charbonneau touchait un salaire annuel de plus de 90 000$, selon nos informations.

Au lendemain de la défaite du Bloc québécois, le 2 mai, Gilbert Gardner, Marie-France Charbonneau et François Leblanc ont été remerciés officiellement par le cabinet de Gilles Duceppe. Ils ont donc eu droit à une indemnité de départ équivalant dans certains cas à six mois de salaire, comme le prévoient les règles de la Chambre des communes pour les employés de bureaux de députés qui perdent leur emploi à la suite d'élections fédérales.

Mais ces trois proches collaborateurs de Gilles Duceppe ont été rapidement embauchés par le Bloc à Montréal et ont touché essentiellement le même salaire malgré la déconfiture électorale, ce qui a provoqué un profond malaise chez les militants bloquistes. Leur rémunération a pris fin lorsque le nouveau chef, Daniel Paillé, élu le 11 décembre, les a congédiés quelques jours après son entrée en fonction.

Légal»

Joint par La Presse hier à son domicile, Gilles Duceppe a confirmé que M. Gardner était payé par son cabinet à Ottawa. Il a affirmé que le Bloc n'avait rien à se reprocher et a soutenu que son parti avait toujours pris soin d'agir selon les règles. Il a ajouté que ses proches collaborateurs avaient sollicité l'avis des experts de la Chambre pour s'en assurer.

Il n'y a jamais eu de cachette avec l'organigramme et on a toujours fait les choses très légalement», a déclaré M. Duceppe, qui a aussi affirmé que les autres partis agissaient de la même manière. «Il y a plein de ministres qui avaient des organisateurs politiques sur le terrain», a-t-il souligné.

Joint également hier, l'ancien chef de cabinet François Leblanc s'est porté à la défense de sa conjointe. Il a précisé qu'elle était en poste au bureau de Montréal et non d'Ottawa, et il a dressé la liste de ses réalisations au sein du parti depuis le début des années 90. «Ceux qui disent qu'elle se poignait le beigne, c'est des trous de cul et tu peux me citer», a-t-il tranché, visiblement irrité.

Quant au salaire versé à M. Gardner à même le budget du cabinet du chef, M. Leblanc a précisé que cette pratique existe au Bloc depuis sa création, il y a 20 ans. «C'est tout à fait légal. [...] Je ne dis pas que c'est comme cela dans tous les partis. Mais dans tous les partis, les budgets sont accordés au cabinet du chef et le cabinet du chef a un coup d'oeil discrétionnaire là-dessus.»

Scandale des commandites

Interrogé à ce sujet, hier, le député libéral Marc Garneau s'est montré cinglant à l'endroit de Gilles Duceppe. «On sait très bien qu'il faut faire la différence entre l'aile politique d'un parti et l'aile parlementaire. M. Duceppe s'est dit plus pur que pur en nous attaquant sur les commandites. Cela me choque de voir un tel manque de jugement», a dit M. Garneau.

En effet, Gilles Duceppe payait le numéro un de l'organisation de son parti à même les fonds publics alors que le Bloc québécois vilipendait les libéraux de Jean Chrétien et de Paul Martin pour leur rôle dans le scandale des commandites.  

Dans son rapport final sur ce scandale, le juge John Gomery a conclu que l'aile québécoise du Parti libéral avait empoché de l'argent d'agences de publicité qui avaient décroché des contrats du programme de commandites sans faire le travail. Le Parti libéral a été contraint de rembourser aux contribuables 1,1 million de dollars perçus illégalement à la suite de ce scandale.

Le ministre d'État à la Petite Entreprise et au Tourisme, Maxime Bernier, a appuyé les propos de son collègue. «Le Bloc, quand venait le temps de la gestion de l'argent des contribuables, se disait plus blanc que blanc. Aujourd'hui, on voit la vraie nature du Bloc québécois. Il n'hésitait pas à prendre de l'argent de la Chambre des communes pour faire de la politique partisane. C'est odieux», a conclu M. Bernier.