Alors que le gouvernement Harper se plaint de l'influence des écologistes étrangers au Canada, un examen du registre des lobbyistes montre que les filiales de sociétés pétrolières étrangères ont multiplié les rencontres avec des ministres fédéraux au cours des derniers mois. Et ils ont eu un accès inégalé au ministre de l'Environnement, Peter Kent.

Selon les données du Commissariat au lobbying du Canada, personne n'a rencontré M. Kent plus souvent que les représentants d'Imperial Oil, filiale d'ExxonMobil, de Houston, Texas, depuis sa nomination le 4 janvier. Cette société a rencontré le ministre le 31 janvier 2011, une deuxième fois en février, puis deux autres fois en juillet.

Ultramar, filiale de Valero, de San Antonio au Texas, vient en deuxième place avec trois rencontres avec M. Kent.

Depuis sa nomination le 4 janvier 2011, M. Kent a eu 72 rencontres au total avec des lobbyistes, dont 9 avec des représentants de filiales de sociétés pétrolières ou gazières étrangères.

De leur côté, les groupes écologistes ont eu cinq rendez-vous avec le ministre Kent au total. Son collègue des Ressources naturelles, Joe Oliver, était présent aux rencontres de M. Kent avec Ultramar et ConocoPhillips.

Toujours selon le registre des lobbyistes, M. Oliver a aussi rencontré seul les représentants d'Imperial Oil et de Chevron Canada, ainsi que ceux de la société pétrolière chinoise CNOOC, cette fois en compagnie d'Ed Fast, ministre du Commerce international.

Toutes ces sociétés ont intérêt à ce que la construction des pipelines Keystone XL et Northern Gateway se réalise. Ces deux projets controversés permettraient d'exporter le pétrole extrait des sables bitumineux, le premier aux États-Unis, le second vers les marchés asiatiques.

Une lettre controversée

Dans une lettre ouverte publiée lundi, le ministre Oliver a dénoncé les écologistes «radicaux» et les groupes d'intérêt étrangers qui tentent d'empêcher le Canada d'exploiter ses ressources naturelles. Sa sortie survenait 24 heures avant le début des audiences publiques sur le projet Northern Gateway.

«Ils utilisent du financement fourni par des groupes d'intérêt spéciaux étrangers pour saper les intérêts économiques nationaux du Canada, a dénoncé le ministre. Ils attirent des célébrités qui appartiennent au jet-set et dont l'empreinte carbone personnelle est l'une des plus grandes au monde, qui viennent donner des leçons aux Canadiens pour qu'ils ne développement pas nos ressources naturelles.»

Les groupes écologistes américains que La Presse a joints hier estiment que c'est plutôt le gouvernement canadien qui est sous l'influence d'intérêts étrangers, ceux des sociétés pétrolières.

«Le gouvernement fédéral canadien semble agir pour le compte des sociétés pétrolières», a dénoncé Susan Casey-Lefkowitz, directrice des programmes internationaux à la Natural Resources Defense Council (NRDC), jointe à New York.

L'organisme, qui a reçu l'appui de vedettes hollywoodiennes telles que Leonardo DiCaprio et Robert Redford, n'interviendra pas dans les audiences publiques sur le projet Northern Gateway, a-t-elle précisé. Mais il fournit une aide logistique aux écologistes qui mènent la lutte contre ce projet.

Rencontres normales

Au bureau du ministre Peter Kent, on fait valoir que les sociétés pétrolières investissent et créent de l'emploi au Canada.

«En tant que régulateur de l'environnement, nous devons rencontrer des représentants de l'industrie pour discuter de la marche à suivre pour atteindre nos cibles de réduction de gaz à effet de serre», a indiqué l'attaché de presse du ministre, Adam Sweet.

Pendant ce temps à Kitimat, en Colombie-Britannique, les audiences publiques sur le projet Northern Gateway se sont ouvertes avec un avertissement des Premières Nations. La nation Haisla, dont le territoire abriterait le terminal du pipeline, a prévenu qu'elle ne se ferait pas marcher sur les pieds dans ce processus.

Le chef Ken Hall affirme que le projet présente un double risque pour sa nation: celui d'une rupture du pipeline, et celui d'un déversement de pétrole dans le chenal Douglas.

«Les Haisla ont appris à préserver et à conserver tout ce que nous avons, a-t-il dit. Ça me terrifie de savoir que nous faisons face à plus de destruction.»

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Les pétrolières étrangères qui ont eu accès aux ministres Kent et Oliver

Imperial Oil

Filiale à 69% de ExxonMobil Ltd, Irving, Texas

Ultramar Ltée

Filiale de Valero Energy Corp, San Antonio, Texas

CNOOC (China National Offshore Oil Corporation)

Une des trois sociétés pétrolières nationales chinoises

ConocoPhillips

Filiale de ConocoPhillips, Houston, Texas

Westcoast Energy

Filiale de Spectra Energy, Houston, Texas

Chevron Canada

Filiale de Chevron, San Ramon, Californie