Des députés pourront consulter une série de documents que Radio-Canada refuse de dévoiler à des journalistes de Quebecor. La société d'État s'est ainsi pliée aux exigences d'un comité parlementaire qui, à l'initiative de députés conservateurs, est intervenu dans la guerre juridique que se livrent les deux groupes médiatiques.

Le grand patron de la SRC, Hubert Lacroix, a annoncé lundi que les membres du comité parlementaire sur l'accès à l'information pourront consulter des documents réclamés par les journalistes de Quebecor. Mais certaines pièces seront remises aux députés dans une enveloppe scellée.

M. Lacroix a expédié les documents avec un avis juridique qui qualifie d'«inconstitutionnelle et illégale» l'intervention du comité parlementaire. Il espère ainsi convaincre les élus de ne pas ouvrir les enveloppes.

«Je ne peux pas contrôler la façon dont ils vont gérer l'information et le huis clos, a-t-il reconnu. J'espère que la confidentialité de la documentation, s'ils choisissent d'ouvrir [les enveloppes scellées], sera respectée.»

L'intervention des élus dans cette affaire constitue un «précédent», a dit M. Lacroix. Notamment parce que le gouvernement s'immisce dans un litige qui est toujours devant les tribunaux.

«Pour nous, il s'agit du principe fondamental de notre indépendance vis-à-vis de toute influence politique et de notre capacité d'agir [...] à l'intérieur d'un écosystème de radiodiffusion concurrentiel», a-t-il déclaré.

Il dit avoir accédé à la demande des parlementaires malgré ses réserves pour éviter une longue et coûteuse bataille judiciaire.

Le bras de fer a commencé lorsque des journalistes de Quebecor et la Fédération canadienne des contribuables ont demandé une série de documents à la SRC en vertu de la loi sur l'accès à l'information. Les documents concernent le salaire des employés de la SRC, son parc de véhicules, un documentaire sur les Nordiques et le budget consacré aux festivités du 75e anniversaire de la société d'État. La SRC a refusé de les divulguer, affirmant que la loi l'exempte de dévoiler des documents qui touchent ses activités journalistiques et créatives, ainsi que sa programmation.

Les journalistes de Quebecor ont porté plainte au Commissariat à l'information. Celui-ci s'est adressé à la Cour fédérale pour forcer la main du diffuseur public. Le tribunal a donné raison aux plaignants en première instance. Radio-Canada a interjeté appel. La cause est toujours devant les tribunaux.

Le mois dernier, le grand patron de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, a accusé Radio-Canada de manquer de transparence lors d'un passage devant le comité parlementaire. Peu après, les membres conservateurs du comité ont fait adopter une motion qui oblige le diffuseur à produire les documents en litige.

Le député Dean Del Mastro, qui mène la charge pour les conservateurs dans ce dossier, a prévenu la semaine dernière que la SRC se rendrait coupable d'outrage au Parlement si elle refusait de transmettre les documents aux parlementaires.

Les partis de l'opposition ont dénoncé ce qu'ils appellent une «attaque» contre le diffuseur public. Le Nouveau Parti démocratique a consulté le légiste de la Chambre des communes, Rob Walsh. Celui-ci estime que les députés conservateurs pourraient violer la Constitution en obligeant la SRC à leur remettre les documents en question.

Rencontre annulée

Le parti a demandé au président de la Chambre des communes de se prononcer sur la légalité de la stratégie des députés conservateurs, lundi. En attendant sa décision, le comité parlementaire qui a reçu les documents en litige a annulé une réunion qui devait avoir lieu ce matin.

À la période des questions, hier, le ministre responsable de Radio-Canada, James Moore, a défendu l'action de son parti. Selon lui, le diffuseur public doit rendre des comptes aux contribuables, lui qui touche chaque année 1,1 milliard en fonds publics.

«La Société Radio-Canada doit démontrer aux contribuables qu'elle gère de façon responsable les sommes qu'elle reçoit d'eux», a-t-il affirmé.

«Le légiste de la Chambre a affirmé à plusieurs reprises qu'à son avis, si les documents sont étudiés à huis clos, il n'y a aucune préoccupation», a pour sa part affirmé M. Del Mastro.