Le Parti conservateur ne compte pas revenir sur sa décision de convoquer un juge de la Cour fédérale devant un comité parlementaire, malgré les protestations de l'opposition, de spécialistes et, potentiellement, de la magistrature elle-même, qui dénoncent une violation grave du principe de l'indépendance judiciaire.

Le secrétaire parlementaire du premier ministre Stephen Harper, Dean Del Mastro, a placé il y a quelques jours le juge Richard Boivin sur une liste de témoins que son parti souhaite entendre en comité parlementaire dans le cadre de l'étude du dossier du respect de la Loi sur l'accès à l'information par la Société Radio-Canada.

M. Del Mastro souhaite que le juge Boivin explique une récente décision, dans laquelle il a donné raison à la commissaire à l'information Suzanne Legault, dans une cause qui l'oppose à la société d'État.

Le diffuseur public se fait souvent accuser de ne pas se conformer à la loi qui l'oblige à remettre aux demandeurs certains documents qu'ils réclament. Les dirigeants de Radio-Canada se plaignent en retour du fait que plusieurs des demandes d'accès à l'information qui lui sont adressées proviennent de certains de ses concurrents. La liste des témoins convoqués par le comité parlementaire de l'accès à l'information contient d'ailleurs les noms de deux journalistes de Quebecor (Sun News) particulièrement critiques face aux agissements de CBC/Radio-Canada.

Un porte-parole de l'entreprise médiatique a déjà indiqué que seul le président Pierre Karl Péladeau répondrait aux questions des parlementaires.

Quant à la convocation du juge Boivin, nombreux sont ceux qui ont signalé leur désaccord, hier, même si de l'avis de plusieurs, le droit actuel ne permet pas de contraindre le magistrat à témoigner.

Selon le doyen de la section de droit civil de l'Université d'Ottawa, Sébastien Grammond, il s'agit d'une atteinte grossière et sans précédent à l'indépendance de la magistrature et qui pose un danger pour notre régime démocratique.

«Le principe de l'indépendance de la magistrature assure les citoyens qu'il y aura toujours un juge impartial pour statuer sur leur cas, même si le gouvernement est leur adversaire et même si leur cause n'est pas populaire», a-t-il écrit dans une lettre ouverte.

Une porte-parole du Conseil de la magistrature du Canada a refusé pour sa part de se prononcer sur ce cas précis. «L'indépendance de la magistrature est une question primordiale, a toutefois déclaré Johanna Laporte. Cela implique que des juges n'aient pas à aller témoigner devant un comité parlementaire pour rendre des comptes.» Mme Laporte a souligné que ce principe avait déjà été reconnu par la Cour suprême du Canada en 1989.

À la Chambre des communes, le député libéral Mauril Bélanger a interpellé le gouvernement sur cette question. «Est-ce que le premier ministre appuie cet affront à notre démocratie et à l'indépendance judiciaire de la part de son secrétaire parlementaire?», a-t-il demandé.

C'est le ministre du Patrimoine, James Moore, qui a répondu: «Notre gouvernement appuie les efforts du député de Peterborough de s'assurer qu'il y a de la transparence au sein de la Société Radio-Canada, que toutes les sommes qui y sont dépensées sont imputables et que tous leurs livres sont ouverts, afin d'être certain qu'ils vont trouver les économies nécessaires pour arriver à un budget équilibré aussitôt que possible», a-t-il déclaré.

Richard Boivin a été nommé à la Cour fédérale par le gouvernement Harper en 2009. Il était auparavant avocat au ministère de la Justice. Pour ne pas nuire à la cause qui a été portée en appel, les membres du comité parlementaire de l'accès à l'information ont convenu de ne pas le convoquer avant le 18 octobre.