La décision du Canada d'interdire le vote des Tunisiens sur son territoire a continué hier de susciter la perplexité et la grogne, en l'absence de toute explication officielle.

Tant l'ambassade de la Tunisie à Ottawa que le ministère canadien des Affaires étrangères n'ont pratiquement laissé filtrer aucune information depuis 72 heures, concernant cette mystérieuse directive du gouvernement Harper. Par courriel, l'ambassade de la Tunisie a indiqué que «des contacts diplomatiques sont actuellement en cours à ce sujet entre les représentants diplomatiques» de Tunisie et du Canada. «En temps opportun, des informations et des clarifications seront communiquées aux organes de la presse tunisienne et canadienne par les sources attitrées des autorités concernées dans les deux pays», ajoute-t-on.

Quant au ministère des Affaires étrangères, une porte-parole a assuré mardi matin qu'une réponse «imminente» serait envoyée aux médias. Celle-ci n'était toujours pas disponible hier en fin de journée. Le directeur des communications du ministre John Baird, Chris Day, a déclaré par courriel que le gouvernement Harper «soutient la transition démocratique en Tunisie depuis le début». De New York, où l'Assemblée générale des Nations unies se réunit, il s'est montré rassurant: «Nous travaillons actuellement avec les représentants de la Tunisie pour veiller à ce que les Tunisiens au Canada puissent voter lors de ces élections.»

Députés à la rescousse

À Québec, les élus des quatre partis à l'Assemblée nationale ont voté à l'unanimité une motion présentée par le Parti québécois, exigeant qu'Ottawa permette le vote des quelque 15 600 ressortissants tunisiens. Ceux-ci sont appelés à voter du 20 au 22 octobre pour deux des 217 députés de l'assemblée constituante, chargée de rédiger la constitution du pays après la chute du président Ben Ali, en janvier dernier. Le Canada fait partie des 31 pays de la circonscription «Amériques et reste Europe».

Lors d'une conférence de presse à Ottawa, l'organisme Alternatives et l'Association des droits de la personne au Maghreb ont dénoncé la directive. «Nous demandons des explications au gouvernement canadien et réclamons un traitement égal qui permettra aux 15 600 ressortissants tunisiens au Canada d'exprimer leur droit de vote aux premières élections libres de l'histoire de la Tunisie», ont-ils déclaré.

Les deux groupes ont reçu l'appui du Parti libéral du Canada dans leur démarche. «Le peuple tunisien s'est pris en main. Le rôle du Canada est d'assurer cet accompagnement vers cette quête de liberté et de démocratie», a insisté le député Denis Coderre.

L'interdiction du vote des ressortissants tunisiens au Canada a été révélée samedi dernier, à l'occasion d'une assemblée de la communauté tunisienne à Montréal, par l'ambassadeur Mouldi Sakri. Selon la note sibylline dévoilée à cette occasion, le Canada affirme encourager les pays étrangers à permettre à leurs citoyens de participer aux élections de leur pays d'origine.

Ottawa, par contre, «continuera de refuser en principe toute demande d'autres États d'ajouter le Canada à leurs circonscriptions électorales extraterritoriales». La Tunisie n'y est pas mentionnée précisément, et cette politique s'appliquerait d'ailleurs aux autres Canadiens qui possèdent une double nationalité. On ignore si ces ressortissants sont tout de même autorisés à voter dans les locaux de leur consulat ou de leur ambassade.

Aucun changement au calendrier

Le dévoilement de cette note a suscité la colère des Tunisiens présents, rapporte Neïla Chihi, porte-parole de la liste indépendante Al Amal (L'Espoir). «La communauté était furieuse. On était sereins avant ça, et tout à coup, ç'a déraillé.»

Un autre représentant, Ali Guidara, du Congrès pour la République, estime que c'est le flou entourant cette directive qui sème la zizanie. «On est dans le brouillard. La situation est très étrange, et ça crée des rumeurs ahurissantes.»

L'organisme indépendant qui encadre le vote au Canada, l'«Instance régionale indépendante pour les élections, circonscriptions des deux Amériques et du reste de l'Europe», a tenu à rassurer les ressortissants tunisiens: les élections auront bien lieu à partir du 20 octobre prochain. «Il n'y a aucun changement pour le moment, a indiqué Faouzi Abdessamad, président de la section montréalaise. On travaille normalement, on ne change pas le calendrier.»

Ce sont les responsables électoraux en Tunisie qui trancheront en dernier recours, précise M. Abdessamad. «Si le Canada ne permet pas le scrutin traditionnel, avec bureau de vote, on va peut-être opter pour des formules différentes. Peut-être adoptera-t-on le scrutin électronique, par procuration, ou même par courrier postal. Ce sont tous des plans B.»