Après plus de six ans de travail, les démarches du gouvernement fédéral pour récupérer les millions détournés dans le scandale des commandites s'avèrent peu rentables: Ottawa a dépensé 4,9 millions de dollars en frais judiciaires pour récupérer à peine 6,7 millions, a appris La Presse.



Les frais d'avocats et d'experts représentent donc 73% des sommes récupérées, et le compteur continue de tourner.

Des 6,7 millions reçus, 1,1 million a été versé volontairement par le Parti libéral du Canada à la suite des conclusions du rapport Gomery. Les sommes que les avocats ont réussi à obtenir des firmes de communications et des publicitaires impliqués ne représentent donc que 5,6 millions de dollars pour le moment.

Personne n'était disponible hier au ministère des Travaux publics pour commenter le rapport coûts-bénéfices de l'opération.

Le gouvernement a toujours une poursuite civile pendante depuis 2005 contre une quinzaine de firmes et d'individus, grâce à laquelle il espérait initialement récupérer jusqu'à 49 millions de dollars. Mais le processus traîne en longueur et aucune date n'est fixée pour le début du procès.

Au début du mois, un porte-parole du Ministère a déclaré prudemment à La Presse que «d'autres sommes seront fort probablement récupérées, à la suite du procès ou de règlements à l'amiable».

«Le gouvernement du Canada respecte les règlements et le calendrier établis par le juge, a ajouté cette semaine le ministère des Travaux publics. Le procès devrait débuter en 2012.»

3 millions pour Me Lussier

Pendant ce temps, les avocats externes embauchés par Ottawa doivent être payés.

Me Sylvain Lussier, recruté au prestigieux cabinet Osler, Hoskin & Harcourt pour mener la poursuite civile et négocier les ententes à l'amiable, avait déjà reçu 3 millions de dollars en honoraires en date du 31 mars dernier, selon les nouveaux chiffres fournis par le Ministère. Ces sommes comprennent les honoraires des experts comptables qui assistent Me Lussier.

Son prédécesseur, Me André Gauthier, avait quant à lui reçu 1,9 million de dollars.

Ces coûts ne surprennent pas l'ancien juge John Gomery, qui a présidé la commission d'enquête sur le scandale des commandites.

«Ce sont des chiffres élevés, effectivement. Mais malheureusement, il arrive souvent que le coût du recouvrement d'une somme soit très élevé pour la personne qui y a droit», observe-t-il.

«Je ne veux pas m'exprimer sur ce cas en particulier. Je sais que les avocats chargés de cette poursuite sont des gens très responsables. Mais je déplore en général le coût de l'administration de la justice, qui est un vrai problème de société», dit-il, en soulignant au passage que ces frais judiciaires peuvent aussi être le fruit d'une «contestation féroce par la partie adverse» devant les tribunaux.

«Obstruction systématique»

L'opposition officielle à Ottawa déplore justement ce qu'elle appelle «l'obstruction systématique» de certains défendeurs, qui font traîner les choses et grimper la facture dans le dossier des commandites.

«Si les acteurs qui ont donné des cadeaux à leurs amis du Parti libéral avaient collaboré dès le départ avec la justice, tout ça aurait coûté moins cher», affirme le député néo-démocrate Alexandre Boulerice, qui croit malgré tout que le gouvernement doit continuer ses démarches: «Ce serait un mauvais message de dire que la poursuite coûte trop cher et qu'on les laisse garder l'argent de tout le monde. Il faut tenter de récupérer un maximum d'argent public et ne pas laisser aller les fraudeurs, le tout en restant prudent dans la gestion des fonds publics.»

Le gouvernement Harper n'a d'ailleurs pas l'intention de lâcher prise, assure Michelle Bakos, porte-parole de la ministre des Travaux publics, Rona Ambrose: «Nous continuons de croire que tous ceux qui sont responsables doivent rendre des comptes. Les Canadiens s'attendent à ce que tout argent volé soit récupéré. Les Canadiens ont été outrés par le scandale des commandites qui s'est produit sous l'ancien gouvernement libéral. Nous avons reçu le mandat de nettoyer les dégâts et la mauvaise gestion du gouvernement précédent, et c'est ce que nous avons fait.»

Il a été impossible hier de parler à l'avocat du gouvernement, Me Sylvain Lussier, qui se trouvait à l'extérieur du pays.

Le programme des commandites, doté d'une enveloppe de 332 millions de dollars, avait été lancé après le référendum de 1995, dans le but d'augmenter la visibilité du fédéral dans les manifestations publiques au Québec. La commission Gomery a démontré qu'une partie de cette somme avait été détournée par des agences de publicité et ultimement redirigée vers la caisse du Parti libéral.

- Avec la collaboration de William Leclerc